Le fédéralisme est-il à même de remplir des fonctions aussi centrales pour notre économie que celles de garantir la prospérité, la croissance et des finances publiques saines ? Et de relever des défis sociaux comme l’équité ou le droit à l’autodétermination ? Ces questions reviennent sans cesse dans les discussions scientifiques et sur la place publique. En présentant ce lundi à Berne sa nouvelle publication «Baustelle Föderalismus», Avenir Suisse entend apporter sa contribution à un débat donnant souvent lieu à des controverses.

Ce plaidoyer pour une modernisation des principes qui sous-tendent le fédéralisme formule aussi des attentes élevées. Alors qu’il était à l’origine le symbole d’une politique proche des citoyens et le garant de la liberté économique, le fédéralisme est aujourd’hui associé à des éléments allant dans le sens contraire. Ses faces d’ombre consistent dans un isolement et des structures compartimentées (l’esprit de clocher des cantons) nuisibles à la concurrence, la cherté des prestations de l’Etat, la tendance à une centralisation excessive, d’éclatantes disparités fiscales et un manque de transparence dans les processus décisionnels. La quote-part de l’Etat augmente, mais la croissance ne suit pas. Et aucun pays au monde n’a de structures aussi étroitement limitées par la géographie et n’accorde autant de compétences à ses instances régionales que le nôtre. Comme d’autres états fédéralistes, la Suisse doit se préoccuper d’une insidieuse centralisation et d’une accentuation des interdépendances économiques. Mais elle doit en plus faire face à des doublons dans l’organisation régionale et à des structures trop lourdes, à l’isolement de son marché intérieur, à une redistribution régionale extraordinairement élevée en comparaison internationale ainsi qu’au manque de transparence créé par la densité des collaborations.

Les conséquences de la fragmentation

Plusieurs raisons expliquent pourquoi le fédéralisme suisse crée aujourd’hui des entraves à la croissance, incitant même à se poser la question de ses avantages. Ainsi, beaucoup d’instances publiques n’ont pas la masse critique requise et empêchent, par des divergences dans la réglementation des services publics, une croissance dite naturelle. Les petits cantons – la masse critique se situe à environ 75 000 habitants – sont nettement plus sensibles à la conjoncture que les grands.

La fragmentation qu’entraîne le fédéralisme peut conduire, par un effet paradoxal, à une centralisation excessive et à la perte de l’autonomie locale. Ainsi, beaucoup de petits cantons qui n’arrivent pas à faire face à leurs obligations financières sont aujourd’hui dans une relation de dépendance par rapport à la Confédération. Entre 1960 et 2000, les transferts financiers de la Confédération vers les cantons ont connu une augmentation de 2 à quelque 30 pour-cent des dépenses fédérales. Cette évolution est rendue possible par une redistribution au détriment des grandes régions économiques. Enfin, les grandes villes suisses subissent le problème à double face que constituent la baisse de leurs recettes fiscales et la hausse de leurs dépenses. On a assisté, au cours de la dernière décennie, à une forte accentuation du déséquilibre entre la forte création de richesse dans les centres et les importantes recettes fiscales qui profitent aux communes des premières et deuxièmes ceintures des agglomérations. La fragmentation des institutions ainsi que la faiblesse et l’éclatement des régions métropolitaines sur le plan politique constituent des freins à la croissance de l’économie suisse dans son ensemble, les régions urbaines ne pouvant assumer complètement leur rôle de moteurs de la croissance.

La Suisse des six régions métropolitaines

La Suisse se compose aujourd’hui de six grandes régions métropolitaines, celles-ci étant définies comme des espaces urbains comptant chacun plus d’un demi-million d’habitants. Une telle «région fonctionnelle» correspond à la sphère d’influence, en termes géographiques, d’une tâche publique ou privée (une «fonction»), ou à une autre forme de forte cohésion spatiale. En règle générale, les régions fonctionnelles coïncident avec les régions pouvant être considérées comme un seul marché de l’emploi et s’étendent au-delà des limites des bassins d’attraction des pendulaires. Les régions fonctionnelles constituent ainsi les grandes régions économiques et les grands espaces de vie de la majorité de la population suisse.

Le développement économique de la Suisse est influencé de façon prépondérante par la région métropolitaine de Zurich, qui est à l’origine de plus du tiers du produit intérieur brut de l’ensemble du pays (soit un PIB de 420 milliards de francs suisses en 2003). Quelque 14 pour-cent du PIB proviennent de la région métropolitaine de Berne, 12 pour-cent de la région métropolitaine de Bâle, et 16 pour-cent de la région constituée par Genève et Lausanne. Ainsi, 84 pour-cent en tout du produit de l’économie est à mettre au crédit des régions métropolitaines – la Suisse doit décidément être considérée comme un pays urbain !

Comme le montrent les calculs et comparaisons transversales de cette étude, un découpage de la Suisse en grandes régions permettrait de compenser pour l’essentiel les différences toujours plus grandes entre les cantons sous l’angle des revenus et de la création de richesse. Presque tous les mécanismes actuels de redistribution régionale – de la péréqua-tion financière au soutien à l’agriculture en passant par l’encouragement des transports publics régionaux – en deviendraient superflus.

Stratégies de réformes pour revitaliser le fédéralisme

La fragmentation ne constituant pas seulement un problème pour la politique économique, mais aussi pour le fédéralisme lui-même, il convient de suivre deux pistes dans les stratégies de réformes que l’on peut envisager : d’une part, les principes en soi du fédéralisme doivent être accentués ; et d’autre part, il faut davantage tenir compte des règles du jeu de la politique économique moderne ainsi que de la réalité économique et géographique. Cela n’implique pas de procéder à des fusions entre cantons. Il faut cependant s’acheminer vers des collectivités régionales de taille variable et avec des formes d’organisation flexibles qui soient autonomes dans leurs responsabilités, organisées selon un modèle décentralisé et ou-vertes.

La publication «Baustelle Föderalismus» propose trois stratégies de réformes selon l’approche d’une «rénovation douce». Premièrement, le fédéralisme financier devrait être réorganisé. La mise en oeuvre de cette première stratégie a déjà débuté en novembre 2004 avec la réforme de la péréquation financière (RPT). Deuxièmement, il s’agirait de créer des «communautés d’intérêt régionales» qui permettraient de surmonter l’obstacle de la petitesse géographique, d’assouplir les frontières et de fournir aux formes actuelles de collaborations des bases plus démocratiques et plus favorables à une action efficace. Différentes tâches communales et cantonales pourraient être transférées à ces nouvelles entités. Et troisièmement, un marché intérieur ouvert serait à créer selon une politique de la concurrence formulée au niveau national. Un marché intérieur mis en œuvre avec conséquence (ou un vrai programme de marché intérieur) ne garantit pas seulement la liberté d’entreprise et la liberté d’exercer une profession, mais aussi l’accès aux infrastructures (réseaux électriques et ferroviaires) et englobe des services publics comme l’école obligatoire ou les hôpitaux. Il faut, pour cela, réviser la loi sur le marché inté-rieur, les marchés publics, le droit en matière de subventions et la politique régionale, et garantir le respect du principe de concurrence dans la réglementation de l’accès aux réseaux cantonaux et communaux.

La publication d’Avenir Suisse se concentre en premier lieu, dans ses développements, sur les stratégies de réformes dans les domaines de l’économie et de la politique financière. Ces changements pourraient être rendus plus aisés et plus rapides par d’autres réformes ayant trait au fonctionnement de l’Etat, en particulier en ce qui concerne les élections et votations nationales. Ainsi, une partie des conseillers nationaux tout au moins devraient se présenter aux élections sur des listes nationales, et non cantonales. Les candidats élus selon ce procédé seraient bien mieux à même de défendre les intérêts du pays, par opposition à des intérêts particuliers. Et si, au Conseil des Etats, la répartition des sièges et les règles sur la majorité à obtenir étaient revues dans le sens d’une meilleure prise en compte du poids démographique, le pouvoir de veto dont jouissent aujourd’hui de fait les petits cantons qui dépendent des subventions fédérales en raison de leur relative faiblesse économique serait quelque peu amoindri. On peut même s’interroger sur l’opportunité de créer un siège au Conseil des Etats qui permette aux cinq plus grandes villes suisses de faire entendre leur voix.