Avoir 20 ans en 2020

Quel métier aura le vent en poupe dans dix ans ? Au contraire, quelles seront les professions qui auront complètement disparu en 2030 ? La question est délicate et il est très difficile d’y répondre, à moins d’user d’une boule de cristal … Pourtant, certains jeunes – ou surtout leurs parents – aimeraient bien pouvoir s’appuyer sur une boussole pour choisir leur voie à l’issue de leur scolarité, au moment d’opter pour leur profession ou leurs études. Différentes analyses publiées ces dernières années tablent sur un changement en profondeur du monde du travail, en raison notamment de l’automatisation et de la digitalisation. Alors, serons-nous bientôt tous remplacés par des robots ? Nous avons interrogé deux spécialistes pour tenter d’y voir plus clair.

Quels métiers ont de l’avenir ?

«Il est très difficile de faire des prévisions en ce qui concerne les métiers d’avenir», prévient d’emblée Giovanni Ferro-Luzzi, professeur d’économie à l’Université de Genève. «Si vous jetez un œil dans le passé, il y a trente ans, une profession comme traducteur était considérée comme porteuse avec l’essor de la mondialisation. Mais aujourd’hui, avec les traducteurs en ligne capables d’effectuer des traductions de bonne qualité et à très bas coût, ce métier est malmené», illustre l’économiste, également professeur à la Haute Ecole de gestion de Genève. «On a l’impression que la technologie fait tout, mais en fin de compte il y a aussi l’approbation de la technologie par la population, et parfois certaines contraintes légales. L’exemple des caisses automatiques dans les magasins est parlant : tout le monde s’est dit que c’était la fin des caissières. En réalité, ce n’est pas si vrai que ça», pointe Giovanni Ferro-Luzzi.

Délocalisation, automatisation, digitalisation

Peut-on toutefois estimer les chances de survie d’une profession ? «On peut généraliser ainsi : si le métier est complémentaire aux innovations technologiques, il a de bonnes chances de pouvoir se développer. En revanche, s’il risque de se faire substituer par un progrès technologique ou innovant, il sera en danger», explique-t-il. «Depuis une quinzaine d’années, il y a sur le marché du travail ce qu’on appelle une polarisation. D’un côté, il y a les métiers où ni la mondialisation, ni la technologie n’ont d’influence. On peut prendre l’exemple des nettoyeurs par exemple, qui ne peuvent être délocalisés ou remplacés par une machine, du moins facilement», avance l’économiste. «De l’autre, des métiers qualifiés ou non pouvant être numérisés ou délocalisés. Ce sont des professions répétitives, routinières comme comptable par exemple. Même des juristes sont petit à petit remplacés par des logiciels très puissants de recherche juridique. Le métier d’avocat ne va disparaître, mais ses tâches devront se montrer complémentaires à l’innovation technologique», détaille Giovanni Ferro-Luzzi. Sans rapport direct avec la technologie, de nouveaux métiers apparaissent également, comme des coaches en tous genres, professeurs de différentes déclinaisons du yoga ou de Pilates. Les ongleries ont également essaimé dans les rues des villes. «Ce qu’il faut retenir, c’est qu’un métier est un ensemble de tâches, et celles-ci évoluent dans leur environnement, avec la demande de la population et le progrès technique», résume le spécialiste.

Les grandes tendances

Au-delà de ces premiers éléments, il y a aussi d’importantes lames de fond à prendre en compte. «Le vieillissement démographique est clairement un facteur de changements structurels dans les besoins de la société», souligne Giovanni Ferro-Luzzi. «La nécessité des soins dans le quatrième âge va être importante, mais ce n’est pas la seule conséquence. Avec l’augmentation de l’espérance de vie, la période d’inactivité après la retraite va s’allonger et créer de nouveaux besoins.» D’autres secteurs semblent par ailleurs très porteurs, comme la formation ou ce qu’on appelle les «green jobs», soit les métiers en lien avec l’environnement. «Aujourd’hui, malgré une immigration assez forte, il y a tout de même plus de personnes qui quittent le marché du travail pour la retraite, que de jeunes qui n’y entrent. Il y aura un goulet d’étranglement et une course aux ressources pour répondre à cette demande croissante des seniors. Et c’est un marché intéressant : certes, certains d’entre eux sont dans la précarité, mais un couple de retraités sur cinq en Suisse est millionnaire», avance Jérôme Cosandey, directeur romand d’Avenir Suisse, think tank d’inspiration libérale. Ce dernier estime qu’une mutation viendra aussi des jeunes eux-mêmes, avec une autre approche du monde du travail, tendant vers une meilleure conciliation entre vie familiale et professionnelle.

Tout le monde aura-t-il un travail ?

Deux écoles de pensées s’affrontent à ce sujet : les optimistes et les pessimistes, explique Giovanni Ferro-Luzzi. D’un côté, les premiers soulignent que le progrès technologique n’est pas nouveau. Des métiers ont bien disparu avec lui, mais de nouveaux métiers ont à chaque fois été créés, liés à de nouveaux besoins. De l’autre, les seconds pensent que cette fois, la donne a changé et que l’évolution est beaucoup plus rapide et brutale. Les personnes peu qualifiées risquent d’être en concurrence systématique avec un ordinateur, qui pourra mieux faire leur job. Si des métiers disparaissent ainsi massivement et qu’une part importante de citoyens ne trouvent pas d’emploi, la société devra trouver une solution pour soutenir ces personnes, comme une mesure équivalente à un revenu de base inconditionnel. Pour Jérôme Cosandey, nous ne nous trouvons pas à l’aube d’une «robocalypse». «En Suisse, on voit que certains jobs disparaissent, mais cela se passe plutôt bien pour l’ensemble de la société.» «Le marché du travail n’est pas un gâteau d’une taille fixe où une personne prend l’emploi d’un autre. Dès qu’un emploi se crée, de nouveaux besoins s’ensuivent, tant au niveau des outils pour pouvoir effectuer ce travail, que par les moyens financiers supplémentaires dont bénéficiera l’employé», souligne-t-il. «Il y a dix ans, il y avait 4,5 millions d’employés en Suisse. En 2019, ce chiffre est passé à 5,1 millions : on voit que l’emploi augmente, alors que le taux de chômage reste stable. Bien que, généralement, les femmes ont augmenté leur taux de travail et qu’entre 60 000 et 80 000 personnes immigrent chaque année», poursuit Jérôme Cosandey.

Et la crise ?

La génération qui entre aujourd’hui sur le marché du travail n’est pas chanceuse en tombant sur une des pires crises possible avec des pans entiers de l’économie à l’arrêt, admet le professeur d’économie Giovanni Ferro-Luzzi. Il détaille que la première expérience du travail pour ces jeunes risque d’être celle du chômage. Des études montrent que dans ces cas-là, ils risquent une ‘cicatrisation’ et ainsi une attitude pessimiste par rapport à leur compétence sur le marché du travail, même après que la récession est passée. Cela peut développer une certaine frilosité dans l’approche de leur avenir professionnel.

A l’inverse, cela peut pousser certaines jeunes à user d’ingéniosité pour tout de même travailler, voire reprendre des études et ainsi arriver mieux formés dans quelques années sur le marché.

Des milliers de jeunes «slasheurs» ?

Certains estiment que l’avenir de l’emploi pour les jeunes ressemblera à une série de petits métiers exercés en même temps, notamment encouragés par des jobs «à la Uber». Ce type de travailleur jonglant entre plusieurs postes est appelé des «slasheurs». «Je ne suis pas convaincu que cela constitue une tendance générale et surtout permanente pour les jeunes», estime Giovanni Ferro-Luzzi. «Ils vont le faire quelques années, peut-être pendant les années d’études ou les premières années d’emploi, puis ils vont se stabiliser dans un poste.» Le directeur romand du think tank Avenir Suisse, Jérôme Cosandey, estime également que l’ubérisation ne sera pas une tendance forte en Suisse. En revanche, peut-être que davantage de jeunes opteront pour deux emplois. Dans tous les cas, le pourcentage de contrats à durée interminé n’a pas baissé en Suisse depuis 1991, même s’il a connu des fluctuations. En 2017, il était toujours de 91 %. De plus, on n’assiste pas non plus à une explosion du nombre d’indépendants ces dernières années, selon l’économiste Giovanni Ferro-Luzzi, également professeur à la Haute Ecole de gestion de Genève.

«Savoir l’allemand, un avantage»

«La première chose, qui n’est pas rationnelle, c’est de faire quelque chose qui vous passionne», lance Jérôme Cosandey, directeur romand du think tank libéral Avenir Suisse. «Si vous êtes passionné, vous aurez soif d’apprendre et cela vous aidera automatiquement à développer vos forces.» Autre conseil, miser sur les langues : «Savoir l’allemand, c’est un véritable avantage en Suisse. On dit souvent qu’il faut savoir l’anglais, mais aujourd’hui tout le monde le parle», poursuit-il. «Il est vrai qu’il vaut mieux réfléchir aux débouchés qu’offre une formation. Pas qu’elle ne soit pas intéressante, mais si elle en permet peu, il faudra parfois s’attendre à avoir un salaire inférieur à son niveau d’études», souligne Jérôme Cosandey.

Des «compétences douces»

«En général, on peut dire que si vous avez une bonne formation et qu’elle est en complément du progrès technique ou de l’innovation, vous avez de bonnes chances de vous protéger contre d’éventuels changements structurels», complète Giovanni Ferro-Luzzi, professeur d’économie à l’Université de Genève. «Beaucoup d’études montrent que ce qui prime beaucoup pour ceux qui trouvent facilement un emploi, ce sont les compétences douces ou Soft skills. Il ne faut pas comprendre que les compétences ‘dures’ ne sont pas nécessaires : le socle de compétences de base demandé a augmenté. Cependant, la différence peut se faire sur l’entregent ou la capacité de travailler en équipe», note l’économiste. En résumé, «en comparaison internationale et malgré la pandémie, la Suisse est proche du plein-emploi. Le pays est très compétitif, propose de bonnes formations et beaucoup d’opportunités. Si quelqu’un s’engage et reste attentif à toujours élargir son éventail de compétences, je ne me fais pas de souci pour lui», conclut Jérôme Cosandey.

Cet article est paru dans le quotidien ArcInfo le 16 décembre 2020.