Lors de l’entrée en bourse de Swisscom au printemps 1998, la Confédération a vendu 35% de ses parts. A l’époque, une privatisation complète était légalement exclue et politiquement inoportune. Un effet positif de la privatisation partielle fut de réduire le risque de placement de la Confédération, respectivement du contribuable. Jusqu’en 2015, la Confédération a continué à réduire sa part d’actions Swisscom jusqu’à atteindre le minimum légal de 51%. Toutefois, la figure 1 montre que cette participation est encore inhabituellement élevée en comparaison européenne.
Les conséquences tardives de l’ouverture ratée du marché
La position continuellement forte sur le marché qu’a gardé l’ancien opérateur historique Swisscom est, entre autres, la conséquence de la semi-privatisation à la fin des années 1990Jusqu’à maintenant, les parts de marchés de Swisscom dans le secteur de la téléphonie mobile se sont maintenues à près de 60%. C’est une valeur record par rapport aux parts de marché d’autres opérateurs étatiques historiques de téléphonie mobile en Europe.
Le développement dans le domaine des connexions à large bande (DSL /FTTx) est encore plus impressionnant : ces dix dernières années, Swisscom a pu y augmenter ses parts de marché de 68% à 79%. Au-delà de ces parts de marchés élevées, le marché suisse des télécommunications est également caractérisé par des prix de détail élevés, tant pour la téléphonie fixe et mobile que pour les connexions à large bande. Par ailleurs, malgré une baisse ces dernières années, le prix de la téléphonie mobile suisse reste parmi les plus chers d’Europe. Comme le montre la figure 2, le prix pour un panier moyen de communications vocales et de données d’un utilisateur avec des besoins moyens (100 appels et 500 MB de données) était encore de 8 euros supérieur à la moyenne de l’OCDE en 2015.
La Suisse s’en tire également mal en comparaison directe avec les pays voisins : la différence de prix avec l’Allemagne se monte à plus de 17 euros et celle avec la France à 14 euros ; en Italie aussi le même paquet coûte presque 9 euros de moins.
Conflits d’intérêts et risques financiers grandissants
Les problèmes de la Confédération, issus de sa participation majoritaire à Swisscom, sont connus et discutés depuis longtemps au niveau politique. D’une part, le rôle de propriétaire, client et régulateur de Swisscom a un grand potentiel de conflits d’intérêts. Le danger que Swisscom soit, consciemment ou non, privilégiée par rapport à ses concurrents, que ce soit par une régulation non neutre du point de vue de la concurrence, par un accès privilégié à la politique ou par des coûts de capitaux moindres en raison d’une garantie d’Etat implicite, est réellement présent.
D’autre part, la Confédération en tant que propriétaire principal de Swisscom s’expose à des risques entrepreneuriaux et financiers grandissants. Le modèle traditionnel de l’entreprise de télécommunications pure prestataire d’infrastructures et de réseau est dépassé depuis longtemps : on ne gagne plus d’argent dans le monde digital. Il n’est pas étonnant que les entreprises de télécommunications (donc aussi Swisscom) axent toujours plus leur modèle d’affaires sur la mise à disposition de services IT et, alimenté par la convergence des marchés des médias et des télécommunications, de contenus médiatiques. Swisscom s’éloigne de plus en plus du prestataire classique de service public qu’elle était par le passé. Elle se développe sur des marchés âprement disputés où elle est en concurrence avec des prestataires IT, des moteurs de recherche, des médias sociaux, des plateformes de streaming et d’autres entreprises de télécommunications.
Enlisement politique
Jusqu’à présent, le Parlement n’a pas réussi à rétablir la situation. En 2006 déjà, le Conseil fédéral avait proposé de vendre ses participations à Swisscom, mais échouait au Parlement. En 2010, la question de la propriété de Swisscom a été abordée dans un rapport du Département des finances, elle à nouveau thématisée en 2014 dans le rapport sur les télécommunications du Conseil fédéral. Par ailleurs, dans son rapport sur la Suisse (2015), l’OCDE a pointé du doigt les possibles problèmes de gouvernance liés à Swisscom. En 2016, plusieurs interventions parlementaires ont été déposées exigeant un processus de privatisation. Il est peu probable que les motions parlementaires encore pendantes au Parlement aboutissent. C’est regrettable car l’expansion de Swisscom sur les marchés internationaux crée de nouveaux risques entrepreneuriaux pour la Confédération et les contribuables.
Ce texte est une version légèrement raccourcie du chapitre 4 de la publication Avenir Suisse «Le mythe de la poule aux œufs d’or – Un programme de privatisations pour la Suisse» (2016).