Tous le monde en parle, tout le monde s’accorde à dire que les réseaux sociaux vont changer notre quotidien, beaucoup d’entre nous s’y inscrivent, et pourtant, les plus sceptiques se demandent encore et toujours à quoi cela peut-il bien servir? Ne sommes-nous pas tout simplement en train d’étaler notre vie privée sur le WEB? N’est-ce pas juste un dernier gadget à la mode? Un rapide tour d’horizon, à travers ce dernier grand phénomène de société, va nous permettre de définir de nouvelles et de concrètes applications utilisables par les administrations publiques. Le but poursuivi étant évidemment d’anticiper les changements profonds de société avant que ceux-ci ne nous rattrapent, forçant alors les dirigeants des institutions publiques à des réactions tardives, voirre désespérées. Le «printemps arabe» a démontré la puissance mobilisatrice de Facebook contre des régimes autoritaires, installés depuis des décennies. Les jeunes d’abord, puis leurs aînés ont saisi ce champ de liberté, d’ouverture et d’expression qu’offraient les réseaux sociaux. Après la parole, les actes ont suivi. La révolte a grondé et a détrôné des pouvoirs en apparence immuables. La surprise fut totale. Pour nous aussi. Désormais, il n’est plus possible d’ignorer la capacité de mobilisation et d’expression de ce phénomène digital.

Mais qu’en est-il exactement chez nous?

Si les deux moteurs des réseaux sociaux sont la liberté d’expression et l’action, une fois transférés entre les mains de simples citoyens, on peut juste s’interroger: comment cela se passe et va-t-il se passer dans nos contrées? En effet, la liberté d’expression est une liberté déjà garantie par nos constitutions; cependant, on peut noter que dès lors que cette dernière est prise en charge par le citoyen ordinaire, elle échappe aux filtres des intermédiaires que sont les médias, les leaders d’opinion ou les institutions sociales ou politiques en place comme les Etats ou leurs administrations. En court-circuitant, en quelque sorte, les usages de la transmission des informations et des connaissances, le citoyen ordinaire s’empare d’objet, question ou produit autrefois asymétriques pour les rendre populaires, totalement asymétriques et gratuits. En effet, l’information et la connaissance dans le monde que l’on est en train de quitter, étaient l’affaire de quelques intermédiaires qui en avaient le monopole et en faisaient profit. En déplaçant cette asymétrie, les réseaux sociaux sont en train de bouleverser en profondeur les équilibres sociaux au profit du plus grand nombre. En d’autres termes, on assiste à l’appropriation par les gens ordinaires du pouvoir d’émettre des informations, d’acquérir ou de parfaire des connaissances et de donner sans complexe leurs jugements à l’ensemble de la population. Les canaux de médiatisation traditionnels ont perdu justement cette fonction de canalisation. Du coup, l’abondance et parfois la pléthore d’informations, de connaissances et de jugements, parfois contradictoires, posent aujourd’hui problème. Là encore, les réseaux sociaux interviennent et, à l’avenir, vont davantage intervenir pour offrir une autorégulation «naturelle». En effet, à l’intérieur de la discussion collective émergent des intervenants, sortes de personnalités à fort «capital social», qui, en quelque sorte, recadrent la discussion et font office de leaders d’opinion. A la différence du monde précédent, les leaders sont choisis par le plus grand nombre et non pas par un système de cooptation ou par catégorisation professionnelle. Il n’est plus forcé d’avoir fait une école de journalisme avec mécanisme de sélection et diplôme à l’appui pour apparaître sur Internet comme une source fiable d’information. En revanche, il faut montrer par sa pertinence et sa compétence que l’on occupe cette position. Le doute s’installe, car, dès lors, deux systèmes s’affrontent. D’un côté, il s’agit d’une personne peut-être peu expérimentée mais avec une forte capacité de discernement et surtout de rapporter fidèlement ce qu’elle rapporte (vécu, entendu, vu) et, de l’autre, des spécialistes (historiens, ethnologues, journalistes, critiques littéraires…) qui ont établi un certain nombre de critères de «fiabilité» des «sources» qu’ils sont obligés de prendre en considération dans leurs propres démarches «scientifique» et «professionnelle ». La qualité n’est donc plus; le seul critère, la sélection non plus, seul compte la pertinence du propos. Ce changement n’est pas temporaire, il s’installe comme un autre paradigme de la transmission d’information, de connaissance et de jugement. Les canaux traditionnels semblent suivre le mouvement et même courir après lui, sans toutefois l’atteindre tellement la fin de leur monopole de l’asymétrie de l’information a transformé leur modèle économique. La crise profonde des médias est là pour nous le rappeler.

Qu’en est-il de l’action ?

Dans les pays du «printemps arabe», on observe une poussée radicale de l’action entreprise par des gens ordinaires qui font la révolution. Chez nous, c’est beaucoup moins clair! Pourtant, on pourrait noter que si pour les jeunes arabes l’absence d’ascension sociale a été le déclencheur de cette révolte, il n’en est peut-être de même en Europe, du moins dans le Sud. On sait désormais que de nombreux jeunes diplômés en Grèce, Espagne, Portugal ou Italie sont au chômage ou font des petits boulots mal rétribués. Cette génération «600 » va-t-elle accepter longtemps encore cette situation ou va-t-elle aussi réagir? En tous les cas, les facteurs de révolte sont réunis, car «leur avenir semble à leurs yeux pire que leur passé». Le nord de l’Europe n’est pas en reste. Les mouvements comme les «Flash Mob» ou plus revendicatifs comme celui des «Critical Mass» sont la résurgence de mouvements annonciateurs d’une volonté de changement, hors des institutions habituelles (partis, syndicats, associations, etc.) Les réseaux sociaux comme Facebook jouent ici également leur rôle de mobilisateur. Certes, les objets et le mode de révolte sont différents, mais les moyens technologiques sont identiques. Le monde semble se réveiller totalement connecté.

Qu’en est-il des administrations?

Face à ces mouvements hostiles à la centralisation et aux intermédiaires, les administrations sont également mises en cause, pas seulement sur les aspects de leurs prestations quantitatives mais plutôt sur le qualitatif (par exemple, fermeture de rues versus trafic), moins sur les conditions cadres économiques que sur la qualité de vie (par exemple, croissance versus logement), pas tellement sur leur contrôle social notamment à travers leur forme de communication (par exemple sur la question du nucléaire par l’administration japonaise). Dès lors, l’administration doit évoluer rapidement. L’enjeu est de regagner la confiance du citoyen. Celleci passera en premier par l’établissement d’une nouvelle forme de communication, plus proche du dialogue «bottom up» que de l’information «top down». Ensuite, il s’agira de donner plus de liberté aux citoyens, non pas leur participation aux systèmes décisionnaires (la démocratie directe y répond déjà) mais plus dans la co-création de fonctionnalités de l’administration de demain. En d’autres termes, il faut donner aux citoyens des outils de création du «bien commun» qui est en gestation. Enfin, il s’agit de donner plus d’autonomie et de réduire le contrôle sur une population avide d’action. Ici, il est question de transformation de la relation administration/administré. L’expérience de «Gov Loop» (voir encadré) aux Etats-Unis pourrait nous fournir des pistes de réflexion utiles. En conclusion, les conséquences du «printemps arabe» et de la catastrophe nucléaire de Fukushima auront, sans doute, plus de conséquences sur notre propre système que l’afflux tant redouté de travailleurs immigrés ou d’éventuelles retombées de particules radioactives sur nos têtes! C’est pourquoi, en mesurer le plus rapidement possible les effets serait un atout pour notre société. En ouvrant de nouvelles perspectives aux administrations publiques, cette série d’articles, se propose d’anticiper concrètement les évolutions à venir pour pouvoir mieux les maîtriser.

Quatre exemples de réseaux sociaux

 

  1. Govloop.com Créé en 2008 par Steve Ressler, ce réseau social est devenu la plateforrne de rencontre de plus de 40 000 fonctionnaires américains. Dédié à l’échange de «bonnes pratiques» et à la discussion, le site Internet est aujourd’hui à l’avant-garde de l’innovation administrative aux Etats-Unis. Formé d’une multitude de groupes thématiques (700), il offre une richesse de points de vue et d’expériences partagées qui a fait des émules en Angleterre, Australie, Pays-Bas, Brésil ou Israël qui utilisent des plateformes similaires.
  2. Canalpublic.fr Lancé le 23 février 2011, cette plateforme française est d’abord un outil professionnel pour les fonctionnaires de l’Hexagone. Evolution de sa carrière, échange d’informations et mutualisation des pratiques sont à la base du concept. Philippe Batreau, ancien fonctionnaire, a créé, dès 1999, des sites Internet pour accompagner le service public sur Internet. Il s’agit, comme Govloop.com, aujourd’hui, d’entreprises privées.
  3. Rezonance.ch Fondé par Geneviève Morand en 1999, ce site Internet n’est pas particulièrement dédié à la fonction publique, mais son histoire, son implantation lémanique sa performance ont fini par en faire un site unique et incontournable en Romandie et où un bon nombre de fonctionnaires l’ont rejoint. Ouvert à l’innovation, des groupes dits d’émergence réfléchissent collectivement à l’avenir de la région. En ce sens, il correspond parfaitement aux besoins de la population, des entreprises et des institutions publiques.
  4. Avaaz.org Le site met en oeuvre un outil mondial de pétitions en ligne qui donne aux citoyens les moyens de peser sur les décisions politiques mondiales. Lancé en 2007, il compte aujourd’hui plus de 7 millions de membres. Traduit en sept langues, il touche des domaines divers qui vont de la sauvegarde de l’environnement aux droits humain et aux conflits religieux. Les pétitions regroupent de 500 000 à 1 000 000 signataires digitaux dans des temps record, en utilisant les effets de réseau d’autres sites comme Facebook ou Twitter.

 

Cet article est paru dans «Affaires Publiques» du 24 juin 2011.