Lorsque, en 1931, Verena Conzett fête ses 70 ans à la Tonhalle de Zurich, elle est éditrice, a fondé de nombreux magazines et dirige une imprimerie florissante qui emploie 430 personnes. Toutefois, nombreux ont été les obstacles qu’elle a dû surmonter pour en arriver là.
Les premières années de sa vie font penser à un roman de Dickens. Son père perd son emploi, car il souffre de la cataracte. La famille dépend de la moindre rentrée d’argent et envoie Verena, qui a tout juste 13 ans, à l’usine. Elle travaille tout d’abord comme assistante dans une teinturerie de laine qui se trouve dans un quartier industriel construit sur pilotis au-dessus de la Limmat, à Zurich, le long du pont Mühlesteg. Les conditions de travail (12 heures par jour, six jours sur sept) s’apparentent, selon nos critères modernes, à celles d’un pays en voie de développement. La vie est tout aussi difficile dans les quartiers ouvriers, où un enfant sur quatre meurt durant sa première année de vie.
La jeune femme et ouvrière fait deux rencontres décisives : l’une avec le mouvement ouvrier et l’autre avec Conrad Conzett, imprimeur et éditeur de Sozialdemokraten, un journal interdit en Allemagne. Elle épouse ce dernier et Verena Knecht devient Verena Conzett. Le premier drame ne se fait guère attendre : en 1885, la fille du couple, Margrit, meurt du typhus alors qu’elle n’est encore qu’un nourrisson.
Verena Conzett rejoint la maison d’édition de son mari. Rapidement, elle est à l’avant-garde des syndicats pour les femmes. Les Conzett s’affirment comme le couple fort de la gauche suisse : lui, comme président de l’Union syndicale suisse (USS) ; elle, comme « secrétaire du comité central de l’Union suisse des ouvrières » à partir de 1890. Même entre partisans des mêmes idéaux, l’égalité des sexes n’est pas une évidence. Ainsi, le syndicat des typographes demande une nouvelle fois que le travail des femmes soit interdit dans leur branche.
Les Conzett lancent un nouveau journal familial : le Zürcher Anzeiger. Mais, dès 1894, la concurrence se fait plus rude sur le marché avec la sortie d’un journal gratuit, le Tages Anzeiger. Au même moment, Conrad se brouille avec l’USS et se retire de son comité directeur, ce qui entraîne une baisse du nombre des commandes pour l’entreprise familiale. Dépressif et endetté, Conrad Conzett se suicide en 1897.
Sa femme doit, une nouvelle fois, repartir de zéro. Dans un premier temps, elle n’échappe de peu à la faillite que grâce à une importante commande passée par l’office des poursuites – ironie du sort. Finalement, une innovation commerciale permet à Verena Conzett de sortir la tête de l’eau : l’abonnement au Zürcher Anzeiger estcombiné avec une assurance accident. En 1908, elle lance un périodique familial, In freien Stunden, en collaboration avec son nouvel associé, l’avocat Emil Huber. La publication rencontre immédiatement un grand succès, les profits suivent en conséquence. Ceci suscite pour la femme d’affaires une grande méfiance de la part de ses camarades : une société coopérative ne serait-elle pas plus indiquée pour une vraie socialiste? Verena Conzett se retire de l’Union des ouvrières, mais reste toutefois un membre fidèle du parti socialiste.
Les innovations et les acquisitions s’enchaînent, mais aussi les coups du sort. En 1918, elle perd ses deux fils, emportés par la grippe espagnole en l’espace d’une semaine à peine, et elle doit reprendre elle-même la direction opérationnelle de son entreprise. Pourtant, elle parviet une nouvelle fois à surmonter la crise. Au cours des années 1920, l’effectif d’employés de Conzett & Huber AG quadruple. En 1929, Verena Conzett publie son autobiographie, « Erstrebtes und Erlebtes » (Essayé et vécu). Elle a beaucoup à raconter.
L’ensemble des portraits des pionnières de la Suisse moderne fera l’objet d’une publication dans un livre qui paraîtra à l’automne 2014, édité par Avenir Suisse, les Editions Slatkine et Le Temps. A précommander ici