Non, les familles paysannes ne sont pas victimes d’une politique financière dysfonctionnelle, comme l’avait écrit Martin Rufer, directeur de l’Union suisse des paysans (USP), dans son commentaire pour la NZZ le 4 septembre dernier. Elles sont plutôt victimes d’une politique agricole suisse ratée, que l’USP a largement contribué à façonner au cours des dernières décennies.

Les paysans instrumentalisés

Mais qu’en est-il exactement ? Martin Rufer critique le fait que la Confédération fasse des économies au mauvais endroit, c’est-à-dire au détriment des familles paysannes. Mais elles ne sont pas au centre des mesures d’économie du Conseil fédéral, et l’image d’une ferme selon le modèle de l’écrivain Jeremias Gotthelf ne correspond pas à la réalité. Elles sont plutôt instrumentalisées par le lobby agricole afin d’obtenir, dans le processus politique, davantage de subventions pour l’ensemble de la branche. Un secteur qui est loin d’être aussi petit que le suggère la publicité des grands distributeurs.

En effet, une grande partie de la production agricole provient d’exploitations très industrialisées du Plateau. Elles sont intégrées dans un système bien rodé de fournisseurs, d’entreprises de transformation, de commerce de détail ainsi que de différentes associations agricoles. Chaque année, 3,7 milliards de francs de subventions fédérales sont versés au secteur agricole. Avec les cantons, cela représente plus de 4,2 milliards de francs. Une partie de cette somme passe par les familles paysannes classiques, dont l’USP se fait l’écho, et une autre va directement dans les poches des entreprises et des organisations agricoles. Il s’agit avant tout de préserver les structures et de retenir les agriculteurs innovants. Aujourd’hui, on sème et on produit principalement ce qui attire des subventions, et non ce que le marché exigera demain.

L’idylle de l’agriculture à petite échelle appartient au passé (Adobe Stock).

La fixation de l’USP sur les familles paysannes détourne en outre l’attention du fait qu’il existe aussi des familles de consommateurs qui subissent depuis des décennies des coûts déjà élevés des denrées alimentaires et qui continuent d’augmenter. Il serait possible d’y remédier rapidement et simplement en supprimant les droits de douane prohibitifs sur les importations de denrées alimentaires. Ils empêchent dans une large mesure que les produits agricoles produits dans le pays soient concurrencés par des produits importés moins chers. En conséquence, le niveau des prix des denrées alimentaires reste élevé, ce qui profite à l’ensemble du secteur agricole au détriment des familles de consommateurs. Celles-ci se tournent vers l’étranger à proximité de la frontière.

Industrialisation croissante de l’agriculture

Ce que l’USP passe sous silence (mais qu’elle met volontiers en avant à d’autres occasions en évoquant la «fin des paysans»), c’est le recul de 18 % des exploitations agricoles depuis 2010, qui ne sont plus que 48 000. L’industrialisation de l’agriculture s’est donc encore accrue. Par conséquent, le nombre d’employés a également chuté de 11 %, et 150 000 personnes travaillent encore dans ce secteur. D’un point de vue mathématique, chaque personne employée dans l’agriculture reçoit aujourd’hui 28 205 francs de subventions par an, ce qui correspond à une augmentation de 15 % depuis 2010 – et même 87 267 francs par exploitation, soit une hausse de 25 %. La Suisse fait ainsi partie depuis des années des trois pays qui soutiennent le plus leur secteur agricole.

Aujourd’hui, près de 50 % des revenus de l’industrie agricole proviennent de subventions. Ainsi, les milieux politiques font les poches de la population : les contribuables alimentent le pot commun des subventions, les consommateurs contribuent aux revenus du secteur agricole en augmentant le prix des denrées alimentaires. Il faut cesser de traire la vache deux fois.

Cet article a été publié dans la NZZ (en allemand) en réponse à un commentaire de Martin Rufer, directeur de l’Union suisse des paysans (USP), invité par la NZZ.