Le 24 avril dernier, un débat organisé par Avenir Suisse et foraus s’est intéressé à la relation entre démocratie directe et droit international. Il a réuni trois intervenants : Denis Masmejan, Fanny de Weck et le professeur Marcel Niggli. Le débat était modéré par Axel Doffey (Avenir Suisse).
Denis Masmejan, docteur en droit, journaliste (longtemps au «Temps») est l’auteur d’un ouvrage de 2017 dédié au sujet : «Démocratie directe contre droit international» (collection «Savoir suisse», édition PPUR). Il a brossé un panorama riche, complet et compréhensible (c’est une gageure !) de l’histoire des tensions entre démocratie directe et droit international. Les solutions possibles pour résoudre ces tensions ne manquent pas, mais aucune n’est pleinement convaincante : invalidation par le Parlement des initiatives contraires au droit international ? (actuellement, seules les initiatives ne respectant pas le «droit international impératif» peuvent être interdites de votation). Politiquement irréalisable, et limitant par trop l’objet possible des droits populaires. Examen juridique préalable avant récolte des signatures ? Probablement pas de majorité politique pour confier cette analyse préalable à des juristes, et de toute façon, le peuple doit avoir le dernier mot. Faire confiance au Tribunal fédéral pour «corriger», dans un cas particulier, une disposition acceptée en votation mais qui serait contraire à une autre règle de droit international ? (par exemple faire primer le principe de proportionnalité sur celui de l’expulsion automatique d’un délinquant étranger). C’est possible, selon la jurisprudence actuelle, même si – bien entendu – le pouvoir du TF doit se limiter à se prononcer sur des cas personnels et spécifiques. Imposer un référendum obligatoire pour la législation mettant en œuvre une initiative acceptée, selon la proposition d’Avenir Suisse ? Solution lourde, mais qui permettrait de faire trancher par le peuple lui-même d’éventuelles contradictions entre initiative acceptée et droit international. Au final, Masmejan exprime sa préférence pour les propositions de foraus préparées, notamment, par Fanny de Weck.
Marcel Niggli est professeur à l’Université de Fribourg, où il enseigne le droit pénal et la philosophie juridique. Il a notamment publié un article du 22.01.2018 dans la Weltwoche sur l’initiative de l’UDC dite «pour l’autodétermination». Selon lui, l’importance de cette initiative est surestimée, et elle ne constitue pas un grand danger pour l’ordre juridique suisse. En particulier, les droits fondamentaux valables en Suisse ne seraient pas limités en cas d’acceptation de l’initiative. Les garanties fournies par l’ordre constitutionnel suisse sont élevées, et parfaitement suffisantes : pourquoi vouloir encore se référer constamment à du droit international, notamment la CEDH, alors même que les Suisses ont la liberté et la faculté de se prononcer eux-mêmes sur les règles dont ils veulent se doter !
Mettant avec passion le feu au débat, le professeur Niggli a aussi vivement critiqué une certaine lâcheté dans le débat politique : le respect des obligations internationales de la Suisse (par ex. de la CEDH) est trop souvent utilisé comme un prétexte juridico-technocratique pour éviter de faire véritablement campagne politique. Pourquoi quasiment personne ne s’est-il ouvertement opposé avant la votation aux initiatives acceptées proposant l’expulsion automatique des délinquants étrangers, l’interdiction des minarets ou l’internement à vie des délinquants sexuels ? Alors que tant de personnes ont relevé que ces initiatives étaient contraires au droit international ? Les Suisses doivent avoir le courage de faire directement campagne en se fondant sur des arguments de fond, pas indirectement en se «cachant» derrière les obligations de droit international du pays.
Fanny de Weck est juriste pour l’étude Münch und Singh à Zurich. Elle a dirigé le programme de foraus sur le droit international et les droits de l’homme. Elle est aussi l’une des co-auteur de la publication de foraus intitulé «Initiative Populaire et droit international, Une solution pour éviter les violations de traités internationaux» (2014). Cette étude propose une solution pratique et ingénieuse : une initiative populaire est présumée conforme aux engagements internationaux de la Suisse, et – si elle est acceptée – doit être mise en œuvre conformément à ceux-ci, sauf si l’initiative précise explicitement que son acceptation a pour conséquence la résiliation d’un traité international. Cette résiliation doit faire l’objet d’une deuxième question, explicite, dans la votation. Dans le débat, Fanny de Weck a particulièrement souligné son inquiétude pour certaines jurisprudences du Tribunal fédéral, qui font primer les règles issues d’initiatives populaires, par exemple en matière de renvoi de délinquants étrangers, sur d’autres principes constitutionnels, tels que la proportionnalité. Selon elle, la protection offerte par la CEDH (Convention européenne des droits de l’homme) au-delà du droit national reste essentielle, que ce soit en substance (pour la définition de l’étendue des droits fondamentaux) ou pour les droits procéduraux.
Finalement, le public a pu se joindre à ce débat engagé et de haute qualité.
Pour en savoir plus sur le sujet: Démocratie directe et droit international : comment y voir clair ?