Association Suisse d’Assurances ASA : Monsieur Cosandey, lorsque nous parlons de prévoyance vieillesse, le terme de contrat intergénérationnel s’impose rapidement : est-il encore pertinent aujourd’hui ?

Peut-être même plus que jamais. Les réformes en cours ne doivent pas faire oublier que notre système de prévoyance, avec ses trois piliers, est extrêmement stable et résilient, ceci en dépit de la pandémie et de la crise financière.

Et surtout, le contrat de générations porte bien plus que sur la seule prévoyance vieillesse. Il n’est pas que financier mais aussi émotionnel, et reflète notre époque et la place de la famille. Il était plus évident autrefois, lorsque les grands-parents vivaient encore à la ferme alors que la génération suivante en avait repris les rênes – mais aujourd’hui, le lien entre générations n’est pas moins fort. Il est surtout plus détendu et moins patriarcal. Mais il est aussi plus complexe, car les générations ne vivent souvent plus à proximité les unes des autres. Les familles continuent néanmoins de jouer le rôle de premier réseau social. Notamment en cas de situations difficiles comme un divorce ou le chômage. Ou pour la garde des petits-enfants ou les soins aux (beaux-)parents.

Lorsque la famille ne suffit pas ou ne peut être d’aucun secours, c’est alors la société civile qui intervient : en proposant une aide bénévole pour emmener les enfants à l’entraînement de football, chez les scouts ou encore un service de taxi pour se rendre à la messe.
L’État entre en scène seulement ensuite, par exemple avec les services de santé ou la prévoyance vieillesse.

Est-ce que le contrat de générations souffre du vieillissement de la société ?

Nous avons certes plus de personnes à la retraite qu’avant par rapport au nombre de personnes actives, mais il serait inapproprié d’insinuer qu’elles sont trop nombreuses. Et nombre de ceux que l’on appelle les « baby-boomers », qui arrivent aujourd’hui à l’âge de la retraite, ne manqueront pas de s’investir dans la société comme « jeunes retraités » actifs.

Même s’il faut considérer dans son ensemble le contrat entre les générations, cela ne signifie pas pour autant qu’il faille tolérer le déséquilibre de certains aspects du contrat, comme celui de la « prévoyance vieillesse ». Cette dernière est confrontée à des défis de taille. Non seulement en raison du vieillissement, mais aussi en raison des rendements sur le marché des capitaux et des nouvelles formes de travail, qui ont fortement évolué depuis l’inscription du système des trois piliers dans la Constitution.

Faut-il adapter le contrat intergénérationnel à cette nouvelle donne ?

Le contrat de générations ne cesse d’être adapté ! Mais de manière implicite et sans le consentement de la « partie contractante » la plus jeune. En effet, l’espérance de vie continue de s’allonger et, avec elle, la durée de perception des prestations. Si une partie modifie les clauses du contrat sans l’accord de l’autre, il est normal de s’asseoir autour d’une même table pour procéder aux réajustements nécessaires. Ne me comprenez pas mal : l’augmentation de l’espérance de vie est une nouvelle excellente et fort réjouissante – elle se traduit néanmoins par le fait que les prestations doivent être versées plus longtemps.

Quel réajustement serait envisageable ?

Il faut bien comprendre que des moyens financiers supplémentaires ne sauraient être la seule réponse. Même s’ils permettraient de résoudre les problèmes pécuniaires sur le moment, ils constitueraient aussi une charge supplémentaire pour les générations futures et reviendraient à rompre le contrat entre les générations. C’est pourquoi nous devons également prendre des mesures d’ordre structurel. Par exemple en relevant l’âge de la retraite.

A vous entendre, une grande réforme semble inévitable.

À vrai dire, notre système se caractérise par le fait qu’il permet une politique des petits pas. Des ajustements peuvent être effectués dans chacun des trois piliers sans devoir remettre l’ensemble du système en question. Avec ses quelque 1500 caisses de pension, la prévoyance professionnelle est décentralisée et favorise ainsi les petits pas réformateurs. Dans leur grande majorité, les caisses de pension (85 pour cent environ) ont anticipé la réforme actuelle de la LPP et déjà adapté la prévoyance professionnelle à la réalité actuelle du travail et de l’économie. Le fait que les réformes aient malgré tout souvent du mal à aboutir, c’est le revers de la médaille de la réussite de ce système décentralisé. La pression politique n’est tout simplement plus aussi forte.

L’actuelle réforme de la LPP est-elle vraiment nécessaire ?

De telles adaptations n’ont pas encore été possibles partout. Il faut également trouver une solution pour ces 15 pour cent restants des assurés LPP. Mais plus nous retardons ces pas, relativement petits, plus la nécessité d’une grande réforme s’impose.

Cet entretien a été publié le magazine annuel de l’Association Suisse d’Assurances (ASA) pour l’assemblée générale 2023.