Depuis des années, la fiscalité des entreprises multinationales est dans le collimateur des autorités fiscales de plusieurs pays. Des affaires comme les «Luxleaks», les «Panama papers» ou plus récemment les «Paradise papers» ont augmenté la pression sur les entreprises comme sur les gouvernements. Désormais, une partie de l’opinion publique ainsi que de nombreux acteurs de la société civile, comme des ONGs (organisations non-gouvernementales) et des églises, sont fermement convaincus que les gains réalisés par des compagnies transnationales dans des pays en voie de développement ne sont pas taxés.

Ces conceptions sont-elles réalistes ? Pour les pays les plus pauvres l’effet de la BEPS (érosion de la base d’imposition et transfert des bénéfices) est-il aussi important que le suggère l’ONG Oxfam ? Cette dernière affirme qu’une comptabilisation exacte des bénéfices suffirait à mobiliser les ressources qui manquent à ces pays pour réaliser leurs principaux objectifs de développement.

Les pays riches concernés

D’après les analyses officielles de l’OCDE, les pertes fiscales annuelles causées par la BEPS sont estimées entre 100 et 240 $ milliards à l’échelle internationale. Ce qui représente une coquette somme – du moins au premier abord. En relation avec d’autres chiffres son importance peut être relativisée : cette somme ne représente que 4 à 10% des taxes globales sur le revenu des entreprises et même pas 1% des recettes publiques à l’échelle mondiale.

Mineurs en Afrique. (Wikimedia Commons)

Par ailleurs, la grande majorité de ce manque à gagner ne concerne pas le budget des plus pauvres, mais des pays riches et plus particulièrement le budget chroniquement déficitaire des Etats-Unis. Ainsi, de nouvelles études indiquent que jusqu’à un quart des pertes fiscales provoquées par la BEPS impacteraient la trésorerie américaine.

La raison est évidente : la grande majorité du commerce international a lieu entre pays industrialisés – et non entre riches et pauvres. Ainsi, les échanges entre l’Afrique subsaharienne et le reste du monde ne représentent que 3% du commerce mondial. Il n’y a donc pas grand-chose à «optimiser».

L’idée que les multinationales paient proportionnellement peu d’impôts dans les pays en voie de développement est également fausse. D’après les estimations des Nations-Unies (CNUCED), les entreprises multinationales génèrent en moyenne 10% des recettes fiscales dans les pays en voie de développement. Pour les pays industrialisés, ce chiffre ne s’élève qu’à 5%. Savoir si cette source de revenu pourrait être fortement augmentée, sans provoquer un exode des entreprises, est donc une question contestée. C’est davantage du côté de l’imposition des personnes physiques que des entreprises qu’apparaissent de grandes différences entre pays en voie de développement et pays industrialisés. Dans ce contexte, ce sont souvent les individus riches et indépendants qui parviennent à échapper impunément aux impôts.

Finalement, même une augmentation significative de la charge fiscale des multinationales dans les pays en voie de développement n’aurait qu’un effet marginal sur la capacité de ces pays à couvrir leurs besoins effectifs. Les recettes fiscales de l’Ethiopie, par exemple, se chiffrent à environ 20 $ par habitant et par année – une fraction des 150 à 500 $ qui seraient nécessaires pour financer un système d’éducation, de santé et de sécurité social fonctionnel.

Contre la corruption

Cela ne veut pas dire que toute tentative de réforme concernant la taxation transnationale doit être abandonnée. Au contraire : les initiatives, comme le projet BEPS de l’OCDE qui vise à contrecarrer «l’optimisation fiscale agressive» de certaines multinationales, méritent d’être poursuivies. Il est positif que la Suisse s’y soit engagée, malgré quelques hésitations initiales.

Il serait toutefois faux de miser uniquement là-dessus. La lutte contre la corruption et la fraude fiscale, ainsi qu’envers les allègements fiscaux accordés par les pays en voie de développement eux-mêmes, doit être intensifiée. Par exemple, les subventions pour le carburant qui bénéficient en premier lieu à ceux qui gagnent bien leur vie dans ces pays. Le Fond monétaire international (FMI) estime leur somme à plus de 1000 milliards de $ par année. Enfin, certaines ONGs devraient révéler la vérité puisque seule une croissance solide et durable peut vaincre la pauvreté.

La version originale de cet article en allemand est parue le 24 janvier 2018 dans le journal «Finanz und Wirtschaft».