La politique de formation est probablement l’instrument le plus libéral avec lequel l’Etat peut accompagner et amortir les bouleversements numériques sur le marché du travail. C’est aussi le plus efficace. A quoi devrait ressembler une politique de formation à l’ère numérique ? En ces temps d’incertitude et de bouleversements potentiels, une éducation de base solide et générale est nécessaire. Cela permet de couvrir un plus grand nombre d’éventualités et de minimiser le «risque de perte». En outre, une formation de base généralisée est une condition préalable essentielle à l’apprentissage tout au long de la vie: ceux qui connaissent déjà beaucoup de choses trouveront plus facile d’en apprendre davantage.
L’objectif est donc de trouver un équilibre entre le capital humain général – c’est-à-dire des connaissances et compétences non spécifiques qui peuvent être utilisées de manière productive dans de nombreuses situations – et le savoir-faire spécifique – les connaissances utiles dans une profession particulière ou même seulement utiles pour un emploi spécifique. Bien sûr, des connaissances spécifiques continueront d’être nécessaires pour un travail concret à l’avenir, mais elles doivent et peuvent être acquises en situation. Une bonne formation généraliste de base facilite également ce procédé.
Dans ces conditions, il ne serait pas judicieux de former à l’avenir davantage de spécialistes en informatique dans les écoles et universités suisses. Il s’agit plutôt de transmettre une compréhension plus profonde des «machines» (et de leurs limites). Cette connaissance de base aidera à trouver la meilleure façon de travailler avec elles.
Apprentissage: un modèle à succès face à de nouveaux défis
Avenir Suisse publiera la semaine prochaine une étude sur le paysage suisse des hautes écoles. Nous nous limitons aujourd’hui à l’analyse de celui de la formation professionnelle duale – élément central de la formation post-obligatoire en Suisse. En effet, près de deux tiers des jeunes terminent leur formation professionnelle.
Sans aucun doute, la formation professionnelle a été et est toujours un modèle à succès. Dans le même temps, l’apprentissage est mis au défi de la numérisation, car son succès repose sur la création d’un capital humain spécifique, et ce à trois niveaux :
- par une définition relativement étroite des métiers. L’offre comprend 180 certificats fédéraux de capacité (CFC) différents et 57 attestations fédérales de formation professionnelle ;
- par le transfert de compétences spécialisées ;
- par l’importance des connaissances particulières spécifiques à l’entreprise formatrice.
Dans les faits, le marché de l’apprentissage est désormais une part privilégiée du marché du travail, avec une composante essentielle de formation. Les apprentis ont tendance à préférer travailler, plutôt qu’étudier. Cela présente l’avantage indéniable que toute personne qui a trouvé un apprentissage a déjà un pied dans le marché du travail. Le haut degré de spécialisation rend la formation professionnelle attrayante du point de vue des entreprises, car les apprentis sont généralement financièrement rentables pour l’entreprise formatrice. On estime qu’en Suisse, les apprentis consacrent en moyenne plus de 80% de leur temps d’apprentissage à des tâches opérationnelles. La productivité du travail des jeunes augmente rapidement : alors qu’elle n’atteint que 37% du niveau d’un travailleur pleinement qualifié la première année, elle se monte déjà à 75% en troisième année d’apprentissage. Cela montre la rapidité avec laquelle les apprenants acquièrent des connaissances spécifiques durant leur parcours.
Mais c’est précisément parce que son succès est en grande partie dû à un degré élevé de spécialisation qu’il est difficile de renforcer la formation générale dans le modèle existant. Une proportion plus élevée de scolarité dans l’apprentissage réduirait le temps productif passé dans l’entreprise et donc le retour sur investissement des entreprises formatrices. Tôt ou tard, cela affecterait la volonté d’offrir de la formation, en particulier pour les métiers les plus lucratifs fondés sur l’apprentissage.
Elargissement de l’horizon décisionnel dans la formation professionnelle
Aujourd’hui, les places d’apprentissage proposées sont principalement celles qui seront rentables pour les entreprises à court et moyen terme. Toutefois, comme la formation professionnelle fait également partie du système de formation global, l’horizon décisionnel devrait être considérablement élargi. L’apprentissage doit être encore plus considéré comme un investissement à long terme, à rentabiliser sur dix à vingt ans. Le marché allemand de l’apprentissage montre que cela ne doit pas rester un vœu pieux. Les entreprises formatrices allemandes valorisent moins le retour sur investissement à court terme que les entreprises suisses. On estime qu’en Suisse, les apprentis ne consacrent que 13% à 21% de leur temps à des activités extérieures à l’entreprise, alors que cette proportion se situe entre 31% et 57% en Allemagne.
Pour les grandes entreprises industrielles, l’apprentissage est une porte d’entrée vers un perfectionnement professionnel. Il s’agit donc d’un mécanisme de sélection plutôt que d’une source de rendement. Cela signifie que les entreprises adoptent une vision à plus long terme des métiers offerts et du contenu de la formation, dans leur propre intérêt. Une optique trop «court-termiste» de retour sur investissement peut entrer en conflit avec la prise de bonnes décisions à long terme.
En Suisse, un certain décalage entre le nombre de places d’apprentissage proposées et le nombre d’apprentis en demande est déjà évident dans certaines professions. En règle générale, l’offre excédentaire et la proportion d’apprentissages non pourvus sont les plus élevées dans les professions techniques et manufacturières, c’est-à-dire là où le degré de spécialisation est le plus élevé.
Le principe directeur est que les programmes de formation professionnelle doivent être aussi larges et à long terme que possible. L’horizon d’optimisation doit être basé sur une période de temps plus longue et pas seulement sur la durée de l’apprentissage. Les offres et les contenus doivent correspondre à une idée d’«investissement». Nous estimons que les options de réforme suivantes méritent d’être discutées.
- La mise en commun de profils professionnels, dans la mesure du possible, et donc la création de certificats fédéraux de capacité (CFC) plus larges. Le CFC de polymécanicien est en cela un modèle.
- Une augmentation de la proportion de l’enseignement général, en particulier pour les langues, la communication, les mathématiques et l’informatique (à ne pas confondre avec «l’enseignement de culture générale», ECG). Chaque CFC doit contenir au moins une langue étrangère. Aujourd’hui, seuls 40 % des CFC environ incluent une langue étrangère dans leur programme.
- Un soutien aux apprentissages en langues étrangères ou bilingues (les cantons de Zoug et de Zurich sont exemplaires en la matière). Un élargissement des cours interentreprises pour l’acquisition de compétences professionnelles de base.
- L’informatique comme matière obligatoire dans tout enseignement. Mais, l’orientation spécifique des cours (orientation vers l’application ou la programmation, codage) doit être spécifique, et non générale.
- Une meilleure promotion de la maturité professionnelle : d’ici à 2035, l’objectif souhaitable est d’avoir un taux de réussite à la maturité combinée (professionnelle et gymnasiale) de 45% du groupe d’âge concerné (il est aujourd’hui de 38%).
- Une augmentation du taux d’admission des titulaires de maturité professionnelle dans les hautes écoles spécialisées et l’amélioration de la perméabilité dans le système d’enseignement supérieur.
Sous les auspices de digitalswitzerland et en coopération avec de nombreuses organisations partenaires, la première Journée du digital suisse a eu lieu le 21 novembre 2017. Plus de 40 entreprises, universités et institutions de toutes les régions du pays montrent ce que la numérisation signifie concrètement aujourd’hui et demain.