Les salaires sous pression
Si à première vue, les taux bas touchent d’abord le 2e pilier, il serait faux de croire l’AVS immunisée contre ce fléau. Pour compenser l’évolution démographique – soit un nombre croissant de retraités par rapport au nombre d’actifs cotisants – le financement de l’AVS nécessite une augmentation de la masse salariale. Les projections de l’Office fédéral des assurances sociales assument une hausse réelle des salaires de 0,9% par an et une part toujours croissante des secteurs économiques à haute valeur ajoutée. Or, tout miser sur l’AVS, c’est ignorer les causes des taux d’intérêt bas et surtout ne pas anticiper leurs conséquences sur les salaires.
En effet, la baisse des rendements réels sur les marchés des capitaux reflète une baisse de la croissance économique, exprimée par exemple en pourcentage du PIB (Produit intérieur brut). De façon simplifiée, le PIB constitue la somme des salaires et des dividendes payés en Suisse. La part du PIB versée sous forme de salaire ou de dividendes découle des différences d’utilisation des deux facteurs de production que sont le travail et le capital.
En Suisse, emprunter du capital ne coûte presque plus rien depuis que la BNS a introduit des taux négatifs. Le travail, lui, avec notre niveau de vie élevé, est coûteux. Dans un tel environnement, il faut s’attendre à un déplacement accru de l’activité économique vers toujours plus d’automatisation (dû au capital bon marché) et de moins en moins de travail, relativement cher.
Dans ce contexte, les fruits de la croissance devront toujours plus récompenser le facteur de production « capital » et toujours moins celui du « travail ». Si les taux de croissance restent faibles et que l’importance du capital augmente, une hausse des salaires réels de 0,9% sur l’ensemble de l’économie est peu probable. Or, sans cette augmentation des salaires, mais avec la poursuite de l’évolution démographique, le financement de l’AVS sera mis à rude épreuve.
Diversification du risque
Si la croissance économique réelle reste basse voire diminue encore, les taux de rendement, et à terme les salaires, vont baisser, affaiblissant ainsi le financement du 1er comme celui du 2e pilier. Les mécanismes de transmission d’un ralentissement économique restent toutefois différents pour les deux assurances sociales et permettent ainsi de lisser leurs revenus combinés. Les marchés des capitaux sont volatils et touchent immédiatement les bilans des caisses de pension, à la baisse comme à la hausse. Les salaires sont plus stables, leur ajustement vers le bas étant difficile pour des personnes en emploi. Ils peuvent surtout être renégociés à la baisse lors d’une nouvelle embauche. Conscients de cette asymétrie, les employeurs relèvent de façon prudente les salaires lors d’une reprise économique.
Un financement combiné par répartition et par capitalisation assure également une diversification géographique des risques économiques. L’AVS dépend avant tout de la conjoncture suisse qui détermine l’évolution des salaires et donc des cotisations. En revanche, le 2e pilier investit dans le monde entier. Cela constitue par exemple un risque si l’économie européenne peine plus, une chance si certains pays émergents peinent moins que le marché suisse.
Ainsi, miser fortement sur le 1er au lieu du 2e pilier est une fausse bonne idée. Non seulement, cela ne permettrait pas d’échapper à la problématique des taux de rendement bas, car les causes de ces derniers auront aussi à terme une incidence sur le financement de l’AVS. Et dans le domaine de la prévoyance, c’est le long terme qui compte. Non, renforcer un pilier au détriment d’un autre signifierait aussi renoncer à la diversification des flux financiers et des risques géographiques qui caractérise notre prévoyance vieillesse et lui confère plus de stabilité.
Cet article a été publié dans l’édition 11/16 du magazine «Prévoyance professionnelle suisse». Reproduit avec l’aimable autorisation de la rédaction.