Depuis le refus de la loi sur le CO2 l’été dernier, les libéraux se trouvent face à un choix difficile. Des mesures efficaces s’avèrent évidemment nécessaires pour atteindre la prochaine étape visant à réduire à zéro net les émissions de CO2, soit de moins 50 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990. Toutefois, avec ses divers instruments en partie dirigistes, la loi s’éloignait d’une tarification conséquente et générale des gaz à effet de serre et qui respecterait le principe du pollueur-payeur. Il fallait bien sûr craindre que tout ce qui suivrait un rejet du projet de loi ne serait pas meilleur, mais pire encore.
Les contribuables passent à la caisse, mais pas les pollueurs
Voilà ce qui se dessine malheureusement aujourd’hui. Dans le but de réunir des majorités politiques, le Conseil fédéral écarte définitivement le principe du pollueur-payeur dans le message relatif à la révision de la loi sur le CO2 qu’il a adopté le 16 septembre 2022 puis soumis au Parlement. Au lieu de miser sur des instruments efficaces d’économie de marché tels qu’une taxe sur le CO2, Berne veut déverser une panoplie d’aides et de subventions à la population et aux entreprises : 3,2 milliards de francs pour le tournant énergétique, 2 milliards de francs pour le remplacement des systèmes de chauffage à combustibles fossiles et la rénovation des bâtiments et enfin 1,2 milliard de francs pour la promotion des nouvelles technologies. La Confédération paie et épargne les émetteurs de CO2.
Autrement dit : les contribuables passent à la caisse, mais pas les pollueurs. Nous ne contestons pas le fait que le peuple suisse accepterait une telle démarche. Ce qui nous étonne, c’est qu’on pourrait penser que la revendication selon laquelle les pollueurs doivent payer pour leurs dommages est issue d’un sentiment de justice profondément ancré et qu’elle convient donc parfaitement à la recherche d’une majorité. Or, apparemment, cette approche a été remplacée par une idée qui s’avère encore plus banale : «Que les riches paient !». Ce qu’on oublie, c’est que les ménages à revenus modestes profiteraient plus d’une redistribution complète des taxes sur le CO2 par habitant à la population que des subventions financées par les impôts, pour autant que leur empreinte carbone soit inférieure à la moyenne.
Expliquer la tarification basée sur le principe du pollueur-payeur
Par ailleurs, les subventions sont moins avantageuses que la tarification dans une perspective dynamique : la subvention d’un comportement désiré au lieu de la taxation d’un comportement indésirable conduit à une augmentation des quantités. L’exemple type est celui des transports publics : au lieu d’exiger la vérité des coûts pour tous les types de transport, on les subventionne et on réduit ainsi artificiellement le prix. La mobilité est ainsi proposée à un prix trop bas et consommée de manière inefficace, ce qui conduit par exemple à un étalement urbain et à des coûts supplémentaires.
Penser que les approches basées sur les prix ne sont pas susceptibles de réunir une majorité semble s’imposer dans les milieux politiques. Mais cette conclusion est pour le moins hâtive . Si les milieux politiques se donnaient la peine d’expliquer aux électeurs les avantages d’une tarification basée sur le principe du pollueur-payeur, une majorité pourrait tout à fait se dégager. Toutefois, la première condition serait que la taxe d’incitation soit mise en œuvre correctement, c’est-à-dire qu’elle soit redistribuée intégralement à la population.
La révision de la loi sur le CO2 prévoit exactement le contraire. La seule taxe d’incitation, à savoir la taxe sur le CO2 prélevée sur les combustibles, dont les deux tiers étaient jusqu’à présent redistribués aux ménages, s’élèvera désormais à 50 %. La moitié restante sera affectée au Programme Bâtiments, qui, jusqu’à présent, ne s’est pas avéré très efficace en proposant des coûts de subvention à hauteur de 207 francs par tonne de CO2 évitée. Pourquoi ce changement ? Etant donné que les recettes de la taxe ont baissé, il faut en conserver une plus grande partie pour pouvoir continuer à financer le Programme Bâtiments.
La taxe d’incitation doit inciter et non financer
Le caractère incitatif de la taxe est ainsi complètement passé à la trappe. Comme son nom l’indique, cette taxe doit inciter et non financer. Si elle remplit son objectif, c’est-à-dire si elle permet de réduire un comportement indésirable, elle ne peut pas alimenter simultanément des fonds dédiés. En effet, en atteignant l’objectif, on réduit directement la taxe. Si, au contraire, la taxe devait financer quelque chose, il faudrait espérer qu’elle n’incite pas à un certain comportement, car ce mécanisme rendrait son nom absurde et irait à l’encontre des objectifs climatiques ambitieux.
Dans ses revendications, la politique se méfie malheureusement trop souvent de tels mécanismes de marché, qui s’avèrent en soi logiques. Il en va de même dans le cas de la loi sur le CO2 : avec le projet discuté, la Confédération s’éloigne encore plus de l’idéal en matière de vérité des coûts. La politique climatique de la Suisse semble de moins en moins ambitieuse et efficace, ce qui conduira à des coûts économiques considérables.
Vous trouverez de plus amples informations relatives à la voie libérale vers un avenir neutre en CO2 dans notre étude «Une politique climatique efficace».