Le compromis était-il trop helvétique? Le paquet de mesures prévues par Prévoyance 2020 était-il trop gros? Ou trop hétéroclite? Ou encore, par certains aspects, inconséquent? Les raisons pour lesquelles 52.7% des votants ont refusé le projet de réforme peuvent être interprétées de mille manières – le résultat reste le même: nos retraites vont devoir attendre un nouveau projet qui tienne compte des principaux reproches exprimés par les opposants. A relever que certains de ces reproches dépassent clairement le cadre de la prévoyance, comme le manque d’égalité des conditions de travail et des salaires hommes-femmes. Or, sans cette égalité, il sera difficile de faire accepter aux votantes d’accroître le nombre de leurs années de travail. Joli défi, quand on sait que la loi fédérale sur l’égalité date de… 1996! Autre grande question: pourpasser la rampe, le prochain projet devra-t-il détacher le 1er du 2e pilier? Sur ce point, les avis sont clairement tranchés. Si la droite préférerait séparer les deux réformes, la gauche y est plutôt opposée. Et si chacun s’accorde à défendre les plus démunis, la pierre d’achoppement reste bien sûr l’équilibre entre hausse des sources de financement et réduction des prestations. Le panel de personnalités qui s’expriment ci-après démontre bien l’extrême diversité des attentes et des positions. Pas sûr que l’urgence de la réforme permette d’atteindre rapidement une convergence.
Six intervenants majeurs prennent position sur la suite à donner au débat
Jean Rémy Roulet, Président ASIP
Le rejet de Prévoyance vieillesse 2020 ne doit pas être interprété comme le refus d’une réforme. Il faut donc remettre l’ouvrage sur le métier. Outre l’harmonisation de l’âge de la retraite, un relèvement paritaire du financement est inéluctable. On ne peut pas vivre plus longtemps sans payer plus, à prestations égales. L’Association suisse des institutions de prévoyance (ASIP) propose que le taux de conversion soit fixé par le Conseil fédéral sur la base de paramètres de longévité et de rendements éprouvés, revus périodiquement. Maintenir le niveau des prestations devrait impliquer d’avancer le processus d’épargne et d’adapter la déduction de coordination et des bonifications de vieillesse. Il faudra conserver la flexibilisation de l’âge de la retraite et les mesures en faveur des chômeurs de plus de 58 ans. Enfin, la future réforme doit se faire avec moins de bureaucratie. Malheureusement, le paquet 2020 avait écarté la solution pragmatique proposée par l’ASIP.
Hans-Ulrich Bigler, Directeur USAM
L’Union suisse des arts et métiers (USAM) exige l’élaboration rapide de deux projets simples et distincts. Pour l’AVS: uniformisation de l’âge de la retraite à 65 ans et hausse modérée des taux de TVA. Pour le 2e pilier: baisse, inéluctable, du taux de conversion minimal à 6.0%. Les réductions de rentes qui en découlent doivent être compensées par une hausse des taux de cotisation et des mesures en faveur des générations transitoires. L’USAM refuse clairement une baisse de la déduction de coordination, qui frapperait de manière disproportionnée les assurés à bas salaire et réduirait les chances de réunir une majorité en faveur d’un projet allégé. Un nouvel assouplissement de l’âge de la retraite doit faire l’objet d’un troisième train de réformes et s’appliquer en concomitance avec un relèvement général progressif de l’âge de départ à la retraite. Ce troisième train de réformes doit en outre doter l’AVS d’un frein à l’endettement.
Roland A. Müller, Directeur Union Patronale Suisse
Le refus par le peuple du projet Prévoyance 2020 marque le retrait d’une réforme de grande ampleur, regroupant le 1er et le 2e pilier. Il convient désormais de procéder par étapes en soumettant d’abord au peuple l’assainissement de l’AVS, avant de s’attaquer à la réforme de la prévoyance professionnelle. La réforme de l’AVS demande notamment de supprimer l’anachronique différence entre l’âge de la retraite des hommes et des femmes. Nous sommes en outre en faveur d’un relèvement modéré de la TVA. Il faudra par ailleurs évaluer la nécessité d’une compensation sociale pour les personnes à faible revenu, qui ont cotisé tout au long de leur carrière, mais sans laisser une telle mesure annuler les économies réalisées grâce au relèvement de l’âge de la retraite des femmes. Nous devons au peuple de porter en votation une nouvelle proposition dès avant les élections fédérales de 2019. Il faudra du courage politique, mais la situation de l’AVS ne permet pas d’attendre.
Aldo Ferrari, Vice-président, Secrétariat central, Unia
Si l’on veut garantir les prestations de retraites prévues par la Constitution fédérale, une réforme du régime des retraites suisses reposant uniquement sur le 2e pilier serait économiquement difficilement supportable pour la majorité des salariés et des petites et moyennes entreprises. L’assiette de financement du 2e pilier repose pour la majorité des salariés sur la base d’apports de 130 milliards, alors que pour l’AVS et la TVA, l’on peut compter sur 350, respectivement 300 milliards de francs. Sur le fond, la réforme du 2e pilier devra résoudre les discriminations liées aux plus bas revenus, aux interruptions de carrière qui touchent majoritairement les femmes, au travail à temps partiel ainsi qu’à l’échelonnement des cotisations, qui pénalise les travailleurs plus âgés. Le financement devra être réparti entre salariés et employeurs, dans une période de hausse inéluctable du nombre de bénéficiaires…Vaste programme!
Jacques-André Schneider, Professeur UNIL, avocat, UNIL
Le 10 mars 2010, la baisse du taux de conversion LPP à 6.4%, sans mesures pour maintenir les rentes, a été refusée par 71.6% des votants. Le 24 septembre dernier, la baisse de ce taux à 6%, mais avec des mesures pour maintenir les rentes, a été rejeté par seulement 52.7% des votants. Le paquet améliorait aussi la couverture des personnes à temps partiel, et donc pour les femmes, dans le 2e pilier. Tout compromis législatif futur devra à nouveau relever le défi de la votation populaire. Trois questions seront alors posées. Quel sera le futur taux de conversion? Y aura-t-il des mesures compensatoires pour les rentes? Si l’âge de la retraite des femmes passe à 65 ans, la couverture des personnes à temps partiel sera-t-elle améliorée? La suppression de la déduction de coordination et un taux unique pour les bonifications de vieillesse, introduit progressivement, redeviendront des thèmes d’actualité.
Jérôme Cosandey, Directeur de recherche Politique sociale, Avenir Suisse
L’idée d’enrichir la prochaine réforme avec des mesures au bénéfice des plus démunis bénéficie d’un large soutien politique. La réforme des prestations complémentaires (PC) actuellement en cours se retrouve ainsi propulsée sur le devant de la scène. Dans la logique des trois piliers de la prévoyance vieillesse, agir au niveau des PC permettrait d’assurer une action ciblée en faveur de ceux qui en ont vraiment besoin, avec la garantie que les avantages accordés finissent effectivement dans leur porte-monnaie. Par exemple, une augmentation des dépenses reconnues pour l’obtention des PC (article 10 de la Loi sur les prestations complémentaires), telles que les dépenses personnelles ou les maxima pour le loyer, constituerait une amélioration tangible pour les plus démunis. Pour garder toutes les options ouvertes, la réforme des PC devrait être suspendue jusqu’à que les contours de la prochaine réforme de la prévoyance vieillesse soient dévoilés.
La version originale de cet article est parue dans le numéro 113 de novembre 2017 de «Banco», le magazine suisse de l'asset management. Reproduit avec l'aimable autorisation de la rédaction.