«Celui qui a des visions devrait aller chez le médecin». Que dirait l’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt de la transformation prévue du système énergétique ? La tâche est ardue et peut sembler visionnaire à plus d’un. L’Histoire nous montre pourtant que le système énergétique suisse a déjà été bouleversé à plusieurs reprises.

Sécurité d’approvisionnement, rentabilité et durabilité : la politique doit trouver un équilibre entre ces trois objectifs. Barrage près d’Interlaken. (Adobe Stock)

L’Histoire nous montre que ce sont souvent les crises qui provoquent des changements. Pendant la Première Guerre mondiale, la pénurie de charbon a forcé l’électrification. Des vallées entières ont été fermées pour y développer l’énergie hydraulique, afin d’augmenter la sécurité d’approvisionnement.

Puis, le miracle économique a permis de fournir de l’énergie à la population à grande échelle. Nous sommes passés du charbon au pétrole, nous avons fortement développé l’énergie hydraulique et la Suisse est entrée dans l’ère nucléaire. Lors de cette grande évolution, la rentabilité était au centre des préoccupations.

Cependant, à partir des années 1960, tant le pétrole que l’énergie nucléaire ont été soumis à une pression sociale. C’est à cette époque que des livres tels que «Silent Spring» ont été publiés, que la première conférence sur le climat a eu lieu et qu’un nouveau mouvement écologiste a manifesté contre la construction de centrales nucléaires. La durabilité prenait de plus en plus d’importance dans la politique énergétique.

Ces trois épisodes historiques sont donc emblématiques des trois facettes du trilemme énergétique. Sécurité d’approvisionnement, rentabilité et durabilité : la politique doit trouver un équilibre entre ces trois objectifs. Chaque partie du trilemme a son lobby, ce qui explique que même les projets de réforme les plus modestes sont régulièrement balayés par des majorités changeantes.

Le contexte de plus en plus polarisé rend la recherche d’un consensus encore plus difficile. Une vision commune pourrait y remédier. Il faut donc contredire Helmut Schmidt. Il n’est pas nécessaire d’aller consulter un médecin en cas de visions, au contraire, c’est ce dont manque notre époque. Un tel esprit peut en effet non seulement franchir des vallées, mais aussi déplacer des montagnes.

Pour que les particuliers puissent connaître cet esprit de pionnier, la politique a elle aussi besoin d’approches visionnaires : plutôt qu’avancer à petits pas, il faut se mettre au pas de course. Une ouverture complète du marché de l’électricité, combinée à une taxe d’incitation conséquente sur le CO2, permettrait de créer des conditions-cadres et de se tourner résolument vers l’avenir. Le pays a besoin d’un tel esprit de pionnier, surtout (et pas seulement) en matière de politique énergétique.

Cet article se base sur une présentation sur la politique énergétique donnée par Jürg Müller au Congrès de l’électricité à Berne en janvier 2024, ainsi que sur une tribune dans le magazine «SES» de la Fondation suisse de l’énergie.