Le vieillissement de la société est volontiers illustré par le développement de la forme de la pyramide des âges. Il est ainsi implicitement admis que les travailleurs actuellement actifs (en bas de la pyramide) seront les retraités de demain (dans les étages supérieurs). Le solde migratoire net, à savoir le nombre d’immigrants arrivant en Suisse moins le nombre d’émigrés quittant la Suisse, est déjà pris en compte dans ces projections sur l’évolution de la population. Mais les conséquences des flux migratoires bruts sont parfois occultées par des réflexions simplistes.
Dans l’AVS par exemple, il y a aujourd’hui 3,5 actifs pour un retraité ; en 2035 en revanche, seulement 2,3 actifs pour un retraité. Pourtant, ce ratio ne met pas du tout en évidence qu’un nombre significatif des rentes AVS ne sera pas versé en Suisse mais à l’étranger. Ces retraités établis à l’étranger ne sont pas du tout visibles dans la pyramide des âges. Ce sont soit des étrangers ayant travaillé en Suisse et qui sont retournés depuis dans leur pays d’origine, soit des Suisses ayant émigré à l’étranger.
L’importance des retraités étrangers s’accroît progressivement. En 2014, 35% des rentiers AVS vivaient en dehors de la Suisse et touchaient 14% des rentes AVS. Dix ans plus tôt (2004), ces chiffres s’élevaient respectivement à seulement 29% et 12%. Quel sera l’effet des flux migratoires dans le futur sur le financement des assurances sociales ? La question reste ouverte. Au-delà des chiffres, les aspects qualitatifs de la migration jouent un rôle important. Les personnes quittant la Suisse ont-elles de faibles revenus et fortunes ou s’agit-il de bourgeois bien dotés ? Cette différenciation est importante pour les prestations complémentaires : seuls les citoyens domiciliés en Suisse ont droit aux prestations.
Les soins aux personnes âgées sont eux aussi fortement affectés par les flux migratoires. En 2012, 27% du personnel soignant en EMS ayant un niveau de formation tertiaire étaient en possession d’un diplôme étranger. Sans ce personnel spécialisé, le système de soin pour les personnes âgées s’effondrerait. Avec le vieillissement de la population, nous devrons d’autant plus renforcer le niveau central de la pyramide des âges. Mais l’application de l’initiative contre l’immigration de masse pourrait rendre difficile l’accès à du personnel étranger qualifié. Les flux migratoires sont aussi décisifs pour le domaine privé. Aujourd’hui, les jeunes retraités s’engagent plus qu’auparavant dans les soins dits «informels». Ce sont des filles et fils en bonne santé qui, par exemple, soignent leurs parents. Mais les parents des migrants de la première génération vivent à l’étranger. Les retraités étrangers s’engagent volontiers dans l’entraide entre voisins. Cependant, leurs relations avec les octogénaires (et plus âgés) de leur entourage sont moins étroites et peut-être aussi plus difficiles pour des raisons linguistiques.
En 2013, 26% de la population résidante en Suisse entre 55 et 64 ans et 22% des jeunes retraités (en dessous de 79 ans) étaient des migrants de la première génération. Il y a donc nettement moins de personnes à disposition pour dispenser des soins informels aux personnes âgées que la pyramide des âges ne pourrait le suggérer. Inversement, les jeunes migrants de la première génération (35% de la population résidente entre 25 et 54 ans) ne peuvent pas compter sur le soutien de leurs grands-parents, pour par exemple concilier vie de famille et vie professionnelle. Ces exemples le montrent : se focaliser sur la structure de la pyramide de l’âge aide à reconnaître suffisamment tôt les principales tendances quantitatives. Mais déterminer les besoins en ressources humaines et financières nécessite l’étude de toutes les facettes de la pyramide des âges, y compris de sa face cachée.
Cet article est paru le 1er octobre 2015 dans le magazine «Schweizer Versicherung».