Le refus de Prévoyance vieillesse 2020 en automne dernier a laissé tous les chantiers ouverts. Les craintes semblent se confirmer:  plutôt que de rapidement présenter une nouvelle version «corrigée», le plan B évoqué par les adversaires, tout l’ouvrage est remis sur le métier. La priorité est désormais donnée au premier pilier. L’idée d’un paquet comprenant les deux piliers est morte avec l’échec en votation. La seule avancée notable depuis – des contributions supplémentaires pour l’AVS en guise de compensation sociale pour le Projet fiscal 17 – risque de créer plus de nouveaux problèmes qu’elle ne va en résoudre. La décision d’AXA de ne plus proposer de solutions de prévoyance collective en assurance complète souligne notamment l’urgence d’une réforme dans le deuxième. Voici les analyses et priorités du responsable de la politique sociale du think tank Avenir Suisse, Jérôme Cosandey.

L’Agefi: Est-il justifié de donner la priorité au premier pilier, comme le fait actuellement le département d’Alain Berset?

Jérôme Cosandey: Le premier pilier affiche des chiffres rouges. Pour cette raison, l’urgence est facilement perceptible. Les subventionnements croisés au sein du deuxième pilier laissent moins apparaître cette urgence. Mais à mes yeux, les deux piliers méritent la même priorité. Cela dit, les partis semblent d’accord avec la priorité donnée à l’AVS. Elle connaît même une certaine accélération avec le financement supplémentaire qui devrait lui être accordé dans le cadre du Projet fiscal 17.

Que pensez-vous de cette proposition surprenante?

Sa logique économique me fait peur. C’est comme si un employeur réduisait d’un franc le salaire de son collaborateur, en exigeant en «compensation» un franc de plus pour ses consommations à la cantine. Cette proposition bafoue de surcroît les principes sur lesquels les partis s’étaient mis d’accord lors de la réforme Prévoyance vieillesse 2020. Le saucissonnage actuellement proposé engendre une perte de transparence. Celle-ci était pourtant voulue par la réforme. De plus, les négociations dans le deuxième pilier entre les partenaires sociaux sont menées à huis clos. Le citoyen n’a plus aucune vue d’ensemble.

La politique économique des Etats-Unis est tout sauf «easy» : Harley Davidson. (Wikimedia Commons)

Pourriez-vous donner un autre exemple d’un principe qui n’est plus respecté ?

La réforme Prévoyance vieillesse 2020 était basée sur un équilibre de l’effort consenti. La proposition actuelle du Conseil des Etats d’augmenter le financement de l’AVS met simplement plus d’argent sur la table, sans attaquer de réformes structurelles. Ce qui s’est passé du côté de l’AI fournit pourtant un mauvais exemple instructif : une augmentation temporaire de la TVA avait été décidée, en vue d’une révision ultérieure qui n’a jamais passé la rampe du Parlement. Nous nous engageons donc dans une très mauvaise direction.

Cette démarche fait-elle donc repousser les réformes ?

Ce danger est réel, tant pour l’AVS que pour le deuxième pilier. Les injections dans l’AVS enlèvent toute pression d’agir avant quatre ans. Quant au deuxième pilier, il fera les frais de passer en deuxième priorité. La marge de manoeuvre financière pour celui-ci s’en trouve réduite. Et si l’urgence d’assainir l’AVS est réduite, la gauche sera peu intéressée à soutenir la réforme de la prévoyance professionnelle.

Quelles sont les réformes les plus urgentes ?

Les deux piliers ont besoin d’une réforme rapide. Il ne faut certes plus passer par une votation en paquet, car nous avons vu que cela conduit à un échec. Mais il faut garder une vision d’ensemble. Nous en avions plus ou moins pris le chemin. Le Conseil fédéral doit mettre un projet de réforme de l’AVS en consultation avant la pause estivale. D’ici le printemps 2019, les partenaires sociaux doivent présenter leurs propositions pour le deuxième pilier. Le mariage entre le PF 17 et l’AVS est toutefois en décalage total par rapport à ce calendrier !

Êtes-vous d’accord que l’adaptation du taux de conversion représente le point le plus urgent pour le deuxième pilier ?

C’est à la fois urgent et nécessaire : non seulement en raison de l’augmentation de l’espérance de vie, mais surtout parce que les rendements nominaux ont diminué. Il existe cependant d’autres besoins de réformes, liés notamment à l’évolution de notre société et du monde de travail. A terme, ces développements sont impératifs si on veut assurer à l’ensemble de la population une prévoyance adéquate, indépendamment des divers parcours de vie.

Votre remarque fait surtout penser au fait que la déduction de coordination soit toujours pleinement appliquée, même pour les temps partiels, pouvant ainsi laisser sans aucune couverture dans le cadre de la prévoyance professionnelle des personnes qui travaillent à plein temps en les cumulant.

C’est un point important à corriger. Mais les modèles d’affaires et le mode de fonctionnement d’entreprises comme Uber posent aussi d’autres questions. Est-il encore pertinent de différencier uniquement entre indépendants et employés ? Comment faut-il organiser la prévoyance de personnes travaillant à mi-temps en tant qu’employé et l’autre moitié du temps comme indépendant ? Ces cas de figure sont insuffisamment répliqués dans notre système de prévoyance.

Avec le régime actuel, il appartient en tout cas aux personnes concernées de s’informer et de s’organiser.

La responsabilité individuelle est primordiale ! Toutefois, s’il devait s’avérer que les personnes qui ont des activités atypiques ne prennent pas suffisamment de mesures de prévoyance, on risque de se retrouver avec une bombe à retardement d’ici vingt ans. Mais soumettre tous les indépendants au deuxième pilier n’est probablement pas la solution non plus.

Pourquoi ?

Les frais supplémentaires que cela engendrerait notamment en termes de cotisations aux assurances sociales risque de freiner la création d’entreprises en Suisse. C’est aussi pour cette raison qu’il faut veiller à ne pas alourdir encore le fardeau administratif. Une solution hybride pourrait consister à accorder un délai de transition de cinq ans aux entrepreneurs, avant de les soumettre à l’obligation de cotiser au deuxième pilier.

Une autre lacune importante du régime actuel concerne les employés proches de la retraite. Ne devraient-ils pas pouvoir rester dans la caisse de pension s’ils sont licenciés, plutôt que de ne pas avoir d’autre choix que d’aller dans une fondation de libre-passage ?

Cela est actuellement discuté dans le cadre la réforme des prestations complémentaires (PC). Permettre aux seniors de rester dans leur caisse de pension et de transformer leur capital en rente, s’ils le désirent, lorsqu’ils atteignent l’âge réglementaire de la retraite est techniquement faisable. C’est une idée que je soutiens, pour autant que les assurés ne soient contraints de continuer à cotiser. C’est juste dommage qu’on tire déjà cette cartouche dans la réforme des PC au lieu de garder cette option pour les négociations de la réforme du deuxième pilier.

Ces cas de figure toujours plus particuliers témoignent aussi d’une certaine mise à mal des structures collectives. Faut-il individualiser plus le deuxième pilier ?

J’en suis convaincu. Des personnes avec des trajectoires de vie différentes ont aussi des appétits au risque différents. Comme les besoins se ressemblent de moins en moins, il faut plus de possibilités d’ajuster sa prévoyance. Aujourd’hui toutefois, les solutions d’individualisation, comme les plan le, sont souvent mis en place pour réduire les risques que prend une entreprise avec sa caisse de pension et servent surtout de soupape de sécurité pour diminuer les subventionnements croisés entre actifs et retraités. Dans un autre registre, donner plus d’autonomie aux assurés a un effet positif cela leur rappelle que l’argent placé dans une caisse de pension, leur appartient ! Ils s’intéressent donc plus au deuxième pilier et par là à l’ensemble de leur prévoyance. C’est une condition importante pour garantir la pérennité de notre système des trois piliers.

Cet interview est paru le 25 juin 2018 dans le supplément de l’Agefi «Indices». Reproduit avec l’aimable autorisation de la rédaction.