En matière d’innovation, la Suisse fait partie des leaders mondiaux. D’après le «Global Innovation Index», elle serait le pays le plus innovant depuis dix ans. Mais il serait faux d’en conclure que la numérisation des institutions est rapide et innovante. Certes, les classements sont toujours à prendre avec précaution, mais ni l’indice de référence de l’UE en matière d’administration en ligne ni l’enquête de l’ONU sur l’administration en ligne ne donnent une image flatteuse de la Suisse numérique en comparaison européenne : si le premier rapport la place en bas du classement, le second la classait tout juste dans le top 10 en 2020.

Des compétences numériques moyennes

En matière de formation, la Suisse ne se situe que dans la moyenne européenne pour les compétences numériques de la population. Certes, les qualifications numériques de ses voisins directs sont encore plus mauvaises, mais dans le domaine des compétences avancées, la Suisse est clairement désavantagée par rapport aux pays nordiques. Le fait que seule environ une activité de formation continue sur huit en Suisse serve à acquérir des connaissances en informatique n’y est probablement pas pour rien.

Les travailleurs flexibles se heurtent à une législation rigide

Les classements cités illustrent le rapport ambivalent de la Suisse avec la numérisation. Depuis les expériences de télétravail acquises lors de la pandémie, environ 80 % des actifs souhaitent conserver cette forme de travail. La flexibilité du temps de travail des femmes et des hommes a encore augmenté entre 2015 et 2020. Mais la loi sur le travail est restée la même depuis l’ère industrielle. Par exemple, le temps de travail journalier (ou de nuit) de chaque travailleur, pauses et heures supplémentaires incluses, doit être compris dans une fourchette de 14 heures, et les temps de travail et de repos sont méticuleusement réglementés. Cependant, tout le monde sait que certaines parties de cette loi rigide sont ignorées, notamment par les travailleurs eux-mêmes. L’exigence de concilier vie familiale et vie professionnelle, mais aussi le souhait d’utiliser ses propres compétences de manière flexible dans les différents domaines de travail jouent un rôle.

Il n’y a pas que la loi sur le travail qui montre que les réglementations des processus administratifs freinent la numérisation : le dossier électronique du patient, ancré dans la loi il y a 5 ans mais qui fait toujours l’objet de discussions animées, n’a pas pu être introduit à temps en 2020 en raison de la «procédure de certification complexe». Si, dans ce cas précis, la protection des données est en partie responsable du retard, la ville de Zurich montre de manière exemplaire qu’il n’y a toujours pas de synergie entre innovation et numérisation, comme le montrent les cartes journalières de stationnement pour les zones bleues : la carte de stationnement n’est en effet valable que si elle est imprimée au format A4 vertical.

Enfin, la population ralentit aussi le processus de numérisation. La votation nationale sur l’e-ID du 7 mars 2021 a été clairement rejetée. La question de savoir si le non portait sur la numérisation ou la participation des entreprises est controversée. Quoi qu’il en soit, on peut douter que l’administration ait un avantage sur les entreprises en matière de numérisation des processus.

Pour une numérisation réussie, il est essentiel de revoir les processus existants, comme Avenir Suisse l’a déjà souligné dans son étude «Une «mini Sàrl numérique» pour la Suisse». Parallèlement, il faut adapter les lois et les projets existants au niveau fédéral. Enfin, la société doit faire preuve d’une plus grande ouverture d’esprit face à la numérisation, afin que la Suisse passe du statut de désert numérique à celui d’oasis.