Le think tank a réalisé une étude proposant plusieurs pistes visant à transformer la manière de concevoir l’initiative populaire.
Le think tank Avenir Suisse a présenté hier une étude sur le droit d’initiative populaire intitulée «Réformer l’indispensable trublion de la politique suisse». Le document (lire ci-dessous) établit un historique des initiatives depuis l’introduction de ce droit populaire dans la Constitution fédérale il y a 124 ans et apporte cinq propositions concrètes visant à l’adapter aux évolutions récentes du contexte politique. Tibère Adler, directeur romand d’Avenir Suisse, se défend de toute velléité d’affaiblir le droit d’initiative et répond aux questions de L’Agefi.
Grégoire Barbey: Est-ce que c’est pour vous véritablement impératif de revoir le droit d’initiative aujourd’hui?
Tibère Adler: C’est important. Nous ne votons pas trop, mais nous votons beaucoup. La prospérité suisse n’est de manière générale pas un acquis. Il faut penser à tout ce qui fait le succès de ce pays. Et ce sentiment de sécurité et de prédictibilité juridiques est vraiment très important. C’est pour cette raison que nous avons souhaité explorer la question.
Au fond, aimez-vous réellement la démarche de l’initiative populaire? Vous en remettez certains fondements en question…
Oui nous sommes très attachés à ce droit populaire. Nous le disons clairement. L’initiative populaire est souvent inconfortable, ce qui est le propre d’une démocratie très saine qui se remet régulièrement en question. Chaque initiative est un combat, comme on peut le voir dans l’histoire récente. Ce serait donc effectivement parfois plus confortable de gagner sans combattre. Mais notre système pousse au débat politique de manière ardente.
S’il n’y avait pas eu ces dernières années des initiatives populaires inconfortables acceptées par la population, auriez-vous fait ces propositions malgré tout?
Non, pas forcément en effet.
Il y a donc bien un lien avec l’évolution récente?
Oui mais ce lien est factuel, il ne s’agit pas juste d’une approximation. C’est vraiment le volume des initiatives qui augmente constamment tout comme c’est le cas du taux d’acceptation. C’est d’ailleurs le point de départ de l’étude. S’y ajoute aussi ce sentiment diffus de discuter très souvent de propositions curieuses pour la Suisse… C’est une constatation qui émane souvent des observateurs étrangers. Ils s’interrogent beaucoup sur la proportion des Suisses à débattre d’éléments qui fonctionnent bien.
N’avez-vous pas peur de renforcer le discours de certains partis consistant à affirmer que les élites politiques et économiques veulent durcir l’accès au droit d’initiative et donc limiter l’expression populaire?
Au contraire. Nos propositions ne limitent pas le droit d’initiative mais l’étendent. Notamment avec l’idée d’instaurer un droit d’initiative législative sur le plan fédéral ou encore en permettant aux Suisses de s’exprimer systématiquement sur la législation d’application d’une initiative préalablement votée. On fait croire aux citoyens que l’initiative est un outil populaire, et pourtant lorsque ces initiatives arrivent au bout de leur cycle, leurs effets sont bien souvent dilués. Je pense que nous apportons un complément positif au débat sur le droit d’initiative.
Vous proposez également de donner à la Chancellerie fédérale le devoir de valider les initiatives en amont de la récolte des signatures. N’est-ce pas plus légitime que le Parlement s’en charge, lui qui a la légitimité du suffrage universel, contrairement aux fonctionnaires fédéraux?
Non. Le Parlement a eu sa chance pendant 124 ans et il n’a rien fait. Il n’a jamais exercé son pouvoir de contrôle. L’évolution du droit d’initiative affaiblit le Parlement et les partis. Aujourd’hui il n’est plus question de trouver des majorités parlementaires pour prendre des décisions qui de temps en temps doivent affronter le débat lié au référendum. L’initiative sert plutôt à contourner les débats parlementaires pour donner directement la parole aux citoyens. Cette pratique nous dérange. Nous souhaitons renforcer le rôle du Parlement. Je rappelle en plus que ce rôle de contrôle est un peu paradoxal. Le Parlement doit valider l’initiative puis se prononcer sur sa position quant à la question posée – et dans 99% des cas il est contre et il fait campagne en faveur de son refus. A la fin, il est en plus chargé de débattre de la législation d’application de l’initiative contre laquelle il s’est battu. C’est un conflit d’intérêt total. Notre proposition revient finalement à soulager le Parlement d’une tâche qui sera mieux réalisée ailleurs.
Au sujet du référendum obligatoire pour les lois d’application, ne craignez-vous pas de créer un droit d’initiative en deux temps? Les Suisses accepteraient le principe d’un texte constitutionnel puis débattraient systématiquement de sa loi d’application. C’est une manière détournée de revoter.
La charge induite par cette proposition est peut-être un peu lourde. Mais nous constatons que les débats parlementaires sur l’application des initiatives acceptées en votation – et je ne parle pas uniquement de celle contre l’immigration de masse – compliquent la compréhension des enjeux. Il y a des problèmes qui sont soulevés une fois le texte accepté. Et plutôt que de subir les reproches ad aeternam des initiants qui accusent le Parlement de trahir la volonté populaire lorsqu’il applique un correctif à l’objet voté, ce référendum obligatoire permettrait de donner le dernier mot au peuple. Une initiative populaire n’est jamais applicable à 100% telle qu’elle a été soumise en votation et l’histoire récente le démontre. Qui donc mieux que le souverain peut se prononcer sur sa loi d’application?
Et sur le droit d’initiative législative sur le plan fédéral, ça offrirait quand même au Parlement la possibilité de modifier selon son bon vouloir les textes qui lui déplaisent…
C’est juste. L’initiative législative fédérale se veut volontairement plus légère. Le Parlement pourrait tout à fait modifier une législation votée par le souverain après quelques années. Mais ça nous paraît mieux refléter la vie parlementaire et législative d’un pays plutôt que de tout figer dans la constitution. Cela dit si la loi était changée il y aurait toujours le référendum facultatif. Et puis une initiative législative votée par le peuple aurait une légitimité qui ferait réfléchir à deux le Parlement avant d’y toucher!
Cet article est paru dans «L'Agefi» du 8 avril 2015. Avec l’aimable autorisation de «L'Agefi».