Les finances fédérales sont sous tension, et cette tension ne cesse de s’accentuer : le Conseil fédéral a récemment dû admettre que l’acquisition des nouveaux avions de combat F-35 pourrait coûter jusqu’à 1,3 milliard de francs de plus que prévu. Parallèlement, il a réduit davantage le paquet d’allègement budgétaire. Des déficits menacent donc à nouveau dès 2028, réduisant la marge de manœuvre pour de nouvelles dépenses.
Le moment est très mal choisi pour vider les caisses. En matière de politique de sécurité, l’Europe se trouve face à un tournant décisif. Les pays de l’Otan ont décidé d’augmenter leurs dépenses de défense à 5 % de leur PIB. On attend désormais de la Suisse, pays neutre, qu’elle s’engage davantage, même si sa position à l’échelle internationale n’est pas aussi mauvaise qu’en apparence.
Le Parlement a déjà fait un premier pas : il a l’intention d’atteindre l’objectif de 1 % du PIB aux dépenses militaires d’ici 2032. Mais on peut se demander si cela suffira au vu de la situation en matière de politique de sécurité. Un aperçu de l’évolution à long terme des dépenses publiques montre en tout cas qu’il est difficile de dégager des moyens supplémentaires pour la défense.
Les dividendes de la paix ont été versés à la sécurité sociale
La pondération financière du budget fédéral a fondamentalement changé au fil des décennies. En 1965, près d’un tiers des dépenses étaient encore consacrées à la défense nationale. Aujourd’hui, ce chiffre n’est plus que de 7 % environ. Parallèlement, la part des dépenses sociales est passée de 15 à plus de 35 %. Les deux courbes suivent des trajectoires opposées : un effet de ciseaux qui s’étend sur six décennies.
Cette évolution n’est pas le fruit du hasard, mais reflète une période de relative stabilité : dans les décennies qui ont suivi la guerre froide, les priorités ont changé. Les menaces paraissaient s’atténuer, laissant davantage de marge de manœuvre financière. Il était alors logique de consacrer une partie du budget à la sécurité sociale. De nouvelles assurances sociales ont été créées, et celles qui existaient déjà ont été développées. Le vieillissement de la population est venu accentuer cette tendance.
Parallèlement, l’armée a été plusieurs fois réformée, restructurée et organisée de manière plus efficace. Depuis 1990, ses effectifs ont été progressivement réduits, passant de 800 000 hommes lors de la guerre froide à environ 140 000 militaires aujourd’hui. Cette transformation était envisageable sur le long terme, mais il est désormais nécessaire de l’adapter aux nouvelles réalités.
Obstacles structurels
Le déséquilibre actuel est structurel. Politiquement, il est plus difficile de faire des économies dans les dépenses sociales que dans l’armée. La raison en tient à la structure des dépenses : deux tiers des dépenses de la Confédération sont fixés par la loi, la majeure partie étant consacrée aux prestations sociales. Ceux qui souhaitent réduire ces dépenses doivent souvent passer par la population, avec un résultat incertain.
L’armée, en revanche, est placée sous la souveraineté du Parlement, les économies y sont donc plus faciles à décider, généralement sans coûts politiques immédiats. C’est aussi pour cette raison que les dépenses de défense ont diminué pendant des années. Certes, les moyens alloués à l’armée ont à nouveau augmenté, mais les coupes du passé se font aujourd’hui ressentir : c’est justement en cette période de menaces croissantes que la marge financière fait défaut.
Des coûts d’opportunité élevés
Un exemple récent illustre bien la complexité de la situation : les citoyens suisses ont voté en faveur de la 13e rente AVS, qui coûte plus de quatre milliards de francs par an. Certes, la Confédération n’en finance qu’une partie, mais l’ordre de grandeur est révélateur : avec une telle somme, la Suisse pourrait s’offrir chaque année 20 nouveaux avions de combat F-35, même avec des coûts unitaires plus élevés.
Formulé de manière plus pointue : la 13e rente AVS coûte autant qu’un renouvellement complet des forces aériennes tous les deux ans. Cette comparaison ne vise pas à remettre en cause les assurances sociales, mais à souligner l’importance de fixer des priorités claires. Sécurité militaire et sécurité sociale : la Suisse peut assurer les deux, mais pas sans poser de limites.