«Une personne, une déclaration fiscale» : ce qui est considéré comme un principe fondamental de la démocratie est contesté en politique suisse. Fin 2016, le Conseil des États s’est prononcé contre l’introduction de l’imposition individuelle par principe (appliquée aujourd’hui par la majorité des pays de l’OCDE) qui permettrait de définir un régime fiscal indépendamment de l’état civil. L’imposition individuelle aurait également eu pour effet secondaire de supprimer la fameuse «pénalisation du mariage». Cette dernière se manifeste lorsqu’un couple marié paie davantage d’impôts qu’un couple de concubins à revenu égal. Cette «pénalisation du mariage» devra désormais être supprimée d’une autre manière. Le Conseil fédéral doit soumettre une proposition allant dans ce sens d’ici fin mars.

Une solution alternative, souvent discutée dans ce contexte, prévoit l’introduction pour l’impôt fédéral direct d’un splitting entre époux (division du revenu imposable total du ménage par un coefficient entre 1,6 et 2 pour le calcul du taux d’imposition). Le principe doit être refusé car il suggère une solution qui produit un préjudice plus grand, que le problème qu’il est supposé résoudre. En effet, la «pénalisation du mariage» est loin d’être aussi importante que sa présence permanente dans les initiatives et les postulats ne pourrait le laisser supposer. Au niveau fédéral, selon les estimations de l’Administration fiscale fédérale, seuls 80’000 époux sont défavorisés par rapport aux concubins. Cela ne constitue que 6% des quelques 1,2 million de couples exerçant une profession.

Si l’on inclut les impôts cantonaux et communaux, la situation est carrément inversée : le mariage est généralement avantagé par rapport au concubinage. Comme une analyse d’Avenir Suisse l’a démontré , on observe une pénalisation du mariage significative uniquement pour les ménages à double revenu qui gagnent ensemble plus de 13’000 francs par mois. Ces couples mariés, qui représentent seulement 20% des ménages actifs, paient effectivement 600 millions de francs d’impôts de plus par an que s’ils vivaient en concubinage. Pour les 80% restants, le mariage est un avantage, plus précisément pour la classe moyenne. Parmi l’ensemble des catégories de revenus, il en résulte même un «bonus de mariage» de 160 millions de francs. Il serait donc faux de parler d’une discrimination des couples mariés.

Il n’y a pas seulement des raisons d’équité fiscale entre les ménages qui devraient inciter à refuser un système de splitting au niveau fédéral: il en va aussi de l’égalité entre les sexes. En effet le splitting garantit qu’aucun couple marié ne paie plus d’impôts qu’un couple en concubinage à revenu total égal. Mais à cause de la progressivité de l’impôt, plus les revenus des partenaires sont inégaux, plus un couple marié pourra économiser d’impôts grâce au splitting. Dès lors, ce modèle subventionne la répartition traditionnelle des rôles au sein du ménage.

De plus, la taxation commune du revenu des couples entraîne très souvent une imposition marginale élevée du revenu d’appoint (dans 90% des cas, il s’agit de celui de la femme). Une femme qui pour des raisons familiales se serait absentée pendant quelques années du marché du travail, verra son revenu imposé immédiatement à un taux élevé au cas où elle déciderait de reprendre une activité professionnelle. C’est précisément pour cette raison que la plupart des économistes se prononcent en faveur de l’imposition individuelle. Il y a des dizaines de milliers de femmes très qualifiées qui, pour des raisons fiscales, sont absentes du marché du travail. Le nombre de femmes travaillant à temps plein pourrait sensiblement augmenter si l’imposition individuelle s’appliquait systématiquement. Elles sont aujourd’hui substituées par des immigrants.

En refusant l’imposition individuelle le Parlement fait fausse route. Le splitting est une solution bricolée qui incitera encore davantage les femmes suisses à se tenir à l’écart du marché du travail après le mariage, surtout si leur mari gagne plus. Ce n’est pas un hasard si le splitting est aussi appelé «cage dorée». Curieusement, les milieux féministes n’ont, à ce jour, pas encore réagi de manière forte contre cette évolution. Pourtant, l’imposition commune des couples constitue l’obstacle le plus tangible à l’égalité des sexes. La discrimination fiscale contribue de manière décisive au ralentissement de la carrière des femmes et renforce la ségrégation entre les sexes. Les femmes devraient davantage s’engager en faveur de l’imposition individuelle, plutôt que pour des quotas dans les conseils d’administration ou les directions d’entreprises cotées en bourse.