Au Mont-Pèlerin, Marius Brülhart, professeur d’économie à l’Université de Lausanne et président de la Commission des programmes d’Avenir Suisse, a donné un avant-goût statistique des résultats du livre «La classe moyenne malmenée» de Patrik Schellenbauer et Daniel Müller-Jentsch, publié récemment aux éditions NZZ Libro («Der strapazierte Mittelstand – Zwischen Ambition, Anspruch und Ernüchterung»).

L’approche économique définit la classe moyenne comme la partie de la population qui vit du revenu de son travail, excluant d’un côté, ceux qui bénéficient de la rétribution de leur fortune, et de l’autre, ceux qui profitent de la répartition publique. Selon cette approche, la Suisse est championne du monde de la classe moyenne avec un taux de 80 %, selon la moyenne de l’OCDE. Cette indication confirme que ce pays s’est construit sur cette couche de la population. Les données précisent que celle-ci tend à se féminiser, avec un taux de 72 à 73 % dû, d’une part, à l’élévation de la formation des femmes et, d’autre part, au fait que le chômage affecte davantage les hommes au sein de la population active. Ce phénomène aboutit à l’élargissement de la classe moyenne.

Le capital prend le pas sur le revenu du travail, prétend-t-on. Or, cette affirmation tient de l’idée reçue et s’avère infondée, le taux de croissance des deux indicateurs étant similaire ces 20 dernières années. Toutefois, une analyse plus minutieuse conduit à constater une légère érosion de la classe moyenne à cause d’un accroissement de la fortune vers le haut.

Le malaise, ou cette inquiétude latente, provient du fait que si les rémunérations ont continué à augmenter de 13 % entre l994 et 2010, les salaires moyens ne se sont élevés que de 7 % sur cette période. En d’autres termes, nous assistons ici à une perte de vitesse aussi bien envers le haut que le bas. Les classes modestes et surtout supérieures ont davantage bénéficié de l’accroissement, un phénomène susceptible de devenir la source d’une certaine jalousie et de tensions de la part de la classe moyenne. Même si, en comparaison internationale, la Suisse apparaît plutôt dans le peloton de tête en matière de distribution des salaires. Celle-ci semble en effet bien plus compacte par rapport aux rétributions élevées et modestes.

Donc la classe moyenne continue à bénéficier d’une hausse de ses revenus, même si celle-ci, on l’a vu, est moins prononcée que dans les couches supérieures. A noter ainsi que le décollage du top 1 % des salaires de pointe est moins marqué en Suisse qu’aux États-Unis ces dernières années.

Le premier facteur pour prétendre à un revenu décisif passe par une bonne instruction. Un titulaire d’un titre universitaire gagne en moyenne deux fois plus qu’une personne sans formation. Le renforcement du système d’éducation supérieure (EPF, universités, HES) a exercé une influence heureuse sur les gains. Par rapport à ceux qui n’ont effectué qu’un apprentissage, ceux-ci ont pris l’ascenseur évoluant de + 25 % en 1996 à + 36 % en 2010.

Un autre point concerne la redistribution étatique. La Suisse se classe ici au milieu, les taux d’impôt effectifs étant très élevés, certains ménages rétrocèdent 90 % de leurs revenus.

Une dernière piste de réflexion à trait à l’apparition d’une certaine ségrégation des couches de la population. Cette émergence de ghettos de riches apparaît plus particulièrement dans les grands centres urbains de Zurich, Bâle et Genève. Si une telle tendance s’accentuait, la cohésion de la société risquerait de diminuer.