La pandémie est loin d’être passée, mais du point de vue strictement économique, force est de constater que les ménages suisses s’en sont jusqu’à présent plutôt bien sortisAinsi, si l’on examine les indicateurs couramment utilisés pour évaluer l’état de santé du marché du travail, on ne discerne que peu de signes immédiatement liés à la crise du Covid. Le taux d’activité n’a que brièvement baissé pendant le premier confinement en2020, et l’augmentation du taux de chômage a été modérée et de brève duréeMêmes les salaires réels n’ont pas flanché : selon l’enquête suisse sur la population active, ils auraient progressé de 1,5l’an passé, au plus haut de la crise. Le revenu total des ménages – qui englobe la rémunération du travail et de l’épargne, ainsi que les transferts sociaux – a lui augmenté de 1,9%.

Un bilan assez positif

Ce constat, globalement positif, n’est bien sûr que provisoire. Surtout, il ne vaut pas pour tous de la même manière. La crise du Covid a cela de particulier qu’elle a touché les secteurs d’activité de manière très inégale. En2020, dans le secteur de l’hébergement et de la restauration, les heures travaillées ont chuté de 30% par rapport à l’année précédente. Dans ce secteur, ainsi que ceux de la culture, du divertissement et des transports, le niveau d’activité reste actuellement en dessous de la normale. D’autres, comme l’informatique, le commerce en ligne ou l’administration publique sont en plein «boom». L’augmentation des salaires observée pourrait être alors la conséquence de l’éviction du marché du travail d’actifs employés dans les branches les plus touchées par la crise où les bas salaires sont plus fréquents.

Certains secteurs, comme la culture, ont été touchés de manière disproportionnée par la crise du Covid. Mais le rideau n’est pas définitivement tombé – grâce à l’aide publique et privée. (Gwen King, Unsplash)

La distribution aléatoire des gains et des pertes ne pouvait que raviver le sempiternel débat autour des inégalités, déjà virulent depuis la dernière crise financière. Il est bon de rappeler que ce débat a été jusqu’à présent en grande partie importé : il a été alimenté surtout par l’évolution aux Etats-Unis, où l’on a observé un renforcement des disparités.

Stagnation des inégalités sur vingt ans

En Suisse, les inégalités salariales et de revenu sont en revanche restées en grande partie inchangées, et cela depuis qu’elles sont mesurées de manière systématique, c’est-à-dire à partir de la fin des années nonante. En comparaison internationale, notre pays se trouve plutôt dans le bas du classement.

Est-ce que la pandémie aura réussi ce que la crise financière n’avait pas, c’est-à-dire creuser les inégalités de revenu aussi en Suisseou – pire encore – accentuer la pauvreté? C’est sans compter avec la réaction, vigoureuse, du secteur privé et de l’Etat à la crise du Covid. Commençons par ce dernier : rien qu’en2020, près d11milliards de francs ont été dépensés pour l’indemnisation du chômage partielauxquels se sont ajoutés de nombreuses aides subsidiaires, par exemple la prolongation des indemnités de chômage. Les prestations sociales ont progressé dans l’ensemble de 21milliards de francs, soit de 12%, correspondant à environ 5400francs supplémentaires versés en moyenne aux ménages suisses.

Malheureusement, en Suissenous ne disposons pas encore de données fiables qui permettraient d’estimer la distribution de ces transferts supplémentaires. Plusieurs études de ce type existent cependant à l’étranger. Elles suggèrent dans leur majorité que les politiques de soutien à l’emploi ont plus que compensé l’effet régressif de la pandémie. En clair : sans le soutien de l’Etat, la pandémie aurait accru les inégalités de revenu, frappant plus durement le bas de la distribution. Mais si l’on tient compte du soutien apporté par les pouvoirs publics pendant la pandémie grâce à une combinaison de mécanismes de redistribution existants et des mesures spéciales, les inégalités ont été réduites après impôt.

Baisse des inégalités relative et absolue

Et qu’en est-il du futur ? C’est ici que la contribution des entreprises sera essentielle. Une fois cessées les aides de l’Etatseront-t-ellecapable de sauter dans la brèche ? Difficile à dire avec certitude, mais il y a de bonnes raisons de le croire. Jamais par le passé le nombre de places de travail à pourvoir n’a été aussi élevé qu’en ce moment : au troisième trimestre près de 100 000 places étaient vacantes, soit presque autant que de chômeurs inscrits. Ce ne serait pas la première fois que le marché du travail suisse nous surprend par sa capacité à s’adapter.

Cet article est paru le 21 décembre 2021 dans le quotidien Le Temps.