Magazine ASD: L’étude d’Avenir Suisse conclut que les soins aux personnes âgées, à l’heure actuelle, ne sont pas équipés pour affronter l’avenir.
Jérôme Cosandey: L’étude fait l’inventaire de la situation d’aujourd’hui. Nous avons cherché à dégager une vue d’ensemble dans les secteurs de l’organisation, des coûts et du financement des soins ambulatoires et stationnaires. Nous les avons évalués d’un point de vue libéral et ensuite émis des recommandations. La réalité est que nous sommes confrontés à d’énormes défis sociaux, financiers et en termes de personnel.
Peter Mosimann: C’est incontestable. Les instances politiques doivent aller de l’avant pour assurer l’avenir et le financement des soins aux personnes âgées. Dans le monde politique, le sujet est délaissé, en parler serait trop astreignant. L’ASSASD se positionne sur la ligne de front dans ce domaine, actuellement avec les négociations pour le nouveau financement des soins et, plus généralement, auprès du Parlement.
Magazine ASD: Avenir Suisse constate des déficits importants dans la conception actuelle des soins aux personnes âgées.
Jérôme Cosandey: Il nous faut une meilleure collaboration entre les soins ambulatoires et stationnaires. Aujourd’hui, les soins ne sont pas gérés avec la même efficacité dans tous les cantons; nous constatons ici un grand potentiel d’optimisation. Or, la voie à suivre n’est pas toute tracée. Le canton de Berne et le canton d’Uri n’ont pas les mêmes priorités. Mais il existe des approches plus ou moins bonnes.
Rahel Gmür: Le potentiel d’optimisation existe. Mais le rapport se base en partie sur des données qui donnent une idée peu claire sur la relation entre tarifs et prestations. Cela débouche sur des conclusions erronées. Je vous donne un exemple: les soins oncologiques à domicile ou les soins à domicile pour les enfants sont tous deux très coûteux; mais ils ne figurent pas séparément dans les données. Les prestations de services d’aide et de soins à domicile ne peuvent pas partout être comparées comme Avenir Suisse le fait.
Magazine ASD: Selon l’étude, des patients nécessitant plus que 60 minutes de soins par jour coûtent moins cher, en fonction des situations, dans un EMS qu’avec les services à domicile.
Peter Mosimann: Tout dépend de l’intensité des soins. Les services d’aide et de soins à domicile présentent aussi de meilleurs résultats en s’occupant pendant 60 à 120 minutes d’un patient pour des cas de complexité légère à modérée. Il faut bien sûr ne pas oublier les coûts d’investissement des établissements médico-sociaux (EMS). Le Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale (BASS), qui a analysé les limites des organisations d’aide et de soins à domicile du point de vue économique, arrive aux mêmes observations. Il faut toujours examiner le cas spécifique et la nature des soins exigés pour savoir quel modèle est meilleur marché.
Jérôme Cosandey: Une étude de l’Observatoire suisse de la santé (Obsan) affirme la même chose et maintient qu’à partir de 60 minutes de soins par jour et en fonction de la situation les patients dans un EMS coûtent moins cher que ceux soignés à domicile. Une des raisons est que le personnel qualifié est mieux employé en tenant compte des compétences, et les frais de déplacement sont inexistants.
Rahel Gmür: C’est aussi le cas pour l’Aide et les soins à domicile: le personnel qualifié est déployé selon leurs compétences et leur niveau de formation. Le personnel diplômé effectue les prestations prescrites par un médecin, il conseille et coordonne les activités. L’ASSC ou l’aide-soignante s’occupe des soins de base.
Peter Mosimann: Les frais de déplacement existent, mais ils ne sont pas improductifs, puisque les collaborateurs se rendent au domicile des clients. Les organisations d’aide et de soins à domicile d’utilité publique remplissent l’obligation de prise en charge. Cela veut dire qu’elles s’occupent de tous les patients qui sollicitent leurs services. Cela comprend également des interventions économiquement pas rentables, par exemple lorsque le trajet est long ou que le temps de soins s’avère court.
Magazine ASD: Y a-t-il aussi des patients qui ne devraient pas résider en EMS?
Jérôme Cosandey: Oui. En Suisse, la moyenne des résidents dans un EMS qui nécessitent moins que 60 minutes de soins, voire aucun soin quotidien, se situe autour de 30 %. Pour cette clientèle, un traitement ambulatoire serait tout à fait concevable.
Magazine ASD: Pour corriger cette mauvaise affectation des ressources, vous proposez un changement de mentalité?
Jérôme Cosandey: L’organisation des soins pour personnes âgées doit être optimisée au niveau de toutes les prestations. Des patients nécessitant peu de soins peuvent rester à la maison, fréquenter les structures d’accueil de jour ou vivre dans des appartements médicalisés. Les personnes fortement dépendantes aux soins de santé ont leur place dans un EMS. Il faut une meilleure interaction, une stratégie «ambulatoire de concert avec stationnaire».
Peter Mosimann: La population vit de plus en plus longtemps à la maison: c’est un fait. Soins et assistance sont des services de plus en plus demandés. Cela correspond au souhait d’une grande majorité de la population et au principe: «soins ambulatoires plutôt que prestations stationnaires». Une étude commandée par le canton de Zurich à l’Obsan confirme cette tendance. Une promotion accrue du secteur ambulatoire permettrait de réduire massivement le nombre de lits médicalisés.
Magazine ASD: Dans quelle mesure la tarification imposée par la loi fédérale sur l’assurance maladie (LAMal) influence-t-elle la répartition?
Jérôme Cosandey: La rémunération d’une minute de soins n’est pas partout la même. C’est choquant. La contribution des assurances aux prestations des EMS diffère de celle allouée aux organisations d’aide et de soins à domicile. Il en résulte des incitations pernicieuses et finalement des coûts plus élevés. C’est un domaine où les assureurs pourraient exercer un contrôle.
Rahel Gmür: En général, les milieux politiques devraient mettre les assureurs davantage à contribution. Jusqu’au niveau de soins 5, les organisations de maintien à domicile génèrent de manière générale moins de coûts que les EMS. En dessous de ce niveau, les placements ne devraient pas être acceptés. Je suis convaincue que cela réduirait considérablement les frais. En outre, certaines prestations des soins à domicile et des situations complexes ne sont pas assez indemnisées aujourd’hui. Des corrections s’imposent, et c’est urgent.
Magazine ASD: Trois quarts des coûts des soins sont des dépenses liées au personnel.
Jérôme Cosandey: … et c’est un puissant levier pour changer les choses. Nous avons constaté qu’il y a une faible corrélation entre le montant des salaires et les prestations fournies. Même si nous incluons le coût de la vie. Cela signifie que les salaires ne dépendent pas de la situation du marché local, mais des rapports de force des partenaires sociaux. En outre, pèsent dans la balance les frais d’exploitation et l’efficacité des prestations, c’est-à-dire combien de membres du personnel sont mobilisés par minute de soins. On peut dire que tous les secteurs peuvent être optimisés.
Peter Mosimann: Soyons prudents. Il ne s’agit pas de prendre en compte seulement les coûts, mais aussi de considérer la qualité des prestations et la formation. Et les organisations d’aide et de soins à domicile fournissent une excellente performance dans ces deux domaines. Assurer la qualité de la formation ou fournir des services dans le domaine des relations humaines sont des tâches qui ne se calculent pas en francs et en centimes.
Jérôme Cosandey: Vous avez raison. Mais plus avantageux ne dit pas forcément moins bien. Je peux augmenter l’efficacité en raccourcissant les déplacements improductifs ou en simplifiant l’administration. Tous les cantons évoquent continuellement l’assurance-qualité, mais aucun ne la rend visible en publiant des indicateurs de qualité. C’est une lacune qui ne permet pas de s’engager dans un dialogue objectif.
Rahel Gmür: Vous ne pouvez pas réduire la discussion à l’efficacité. C’est le besoin du patient qui dicte combien de temps un professionnel doit consacrer aux soins.
Magazine ASD: L’étude exige un appel d’offres public pour les prestations de soins. L’ASD s’y oppose. Pourquoi?
Rahel Gmür: Nous ne nous y opposons pas. Mais, au moment de couvrir les régions moins attractives et très éloignées, il nous semble important de ne pas utiliser deux poids, deux mesures. Les services d’aide et de soins à domicile d’utilité publique ont un mandat de prestations de soins obligatoires. Cela signifie que nous devons fournir des prestations même si elles ne sont pas rentables. L’expérience montre que les prestataires privés se décommandent dès qu’une intervention implique des coûts élevés qui ne sont pas indemnisés, ou ne le sont que partiellement. En revanche, la concurrence s’exerce dès que l’intervention est rentable.
Jérôme Cosandey: D’accord. Il nous faut une vue d’ensemble impeccable sur la base de laquelle le mandant peut prendre une décision. Après tout, le client s’intéresse au rapport qualité/prix et à l’offre. Le financement ne devrait donc pas dépendre de la structure des coûts du prestataire, mais correspondre à la prestation fournie. C’est la raison pour laquelle nous préconisons que les prestations de soins obligatoires soient compensées séparément et d’une façon transparente en lançant des appels d’offres. Le canton de Soleure montre qu’un appel d’offres public fait baisser les coûts.
Peter Mosimann: C’est à vérifier. Le processus récurrent de la mise au concours des mandats crée aussi des surcoûts. Des fonds publics sont versés aujourd’hui déjà en fonction de la prestation fournie. Pour chaque type de service, les cantons appliquent des taux normatifs de coûts qu’ils ajustent annuellement. Pour ce faire, ils se basent sur le calcul des coûts des organisations d’aide et de soins à domicile.
Rahel Gmür: L’ASD est apte et ouverte à la concurrence. Nous avons par contre dans quelques régions un trop grand nombre de petites entités. Cette diversité s’explique par le fait que les services d’aide et de soins à domicile ont vu le jour d’abord au sein des communes. La situation de départ, les conditions-cadres et le mandat de prestations d’une petite organisation dans l’Oberland bernois ne sont pas les mêmes que pour une activité en zone urbaine.
Magazine ASD: Comment financerons-nous les soins aux personnes âgées dans l’avenir?
Jérôme Cosandey: Il faut commencer par des optimisations, une augmentation de l’efficacité et l’introduction de nouveaux modèles de rémunération. Nous pensons également que chaque individu devrait épargner dès 55 ans pour ses futurs frais des prestations de soins. Pour réaliser un tel projet, nous proposons un capital-soins obligatoire et individuel.
Rahel Gmür: Vu la situation économique incertaine, je doute que tout un chacun ait la capacité de financer cela.
Jérôme Cosandey: Aujourd’hui, les coûts sont principalement couverts par les primes d’assurance et les impôts. Lors d’une introduction d’un capital-soins obligatoire, ces coûts devraient baisser massivement. Mais, intéressons-nous aux autres alternatives. Au dire de l’Administration fédérale des finances (AFF), le statu quo entraînerait une augmentation des impôts de douze pour cent et une augmentation supplémentaire des primes d’assurance maladie. Un financement des soins selon le système de répartition est actuellement en discussion, et nous savons à quoi cela mène en observant l’AVS. Un tel capital-soins entraîne plutôt une réduction des coûts, car il incite aux économies. De toute façon, rester inactif n’est pas une solution.
Magazine ASD: Peut-on seulement imaginer la situation telle qu’elle se présentera dans 20 ans?
Peter Mosimann: Nous ne pouvons pas la prévoir. Mais nous devons prendre des dispositions légales qui nous permettent de réagir à temps, et rapidement. La loi doit régler les bases, et non pas les détails, comme c’est le cas aujourd’hui dans quelques cantons. Trop de détails empêchent une action efficace dans un environnement multifactoriel. Dans un ensemble complexe comme le système de santé, on ne doit pas tirer de conclusions isolées.
Rahel Gmür: Dorénavant, nous sommes amenés à raisonner à plus larges échelles. L’avenir appartient aux concepts de prestations élaborés régionalement en commun par l’hôpital, les organisations d’aide et de soins à domicile, les réseaux de rééducation et les médecins de famille. Il faut voir plus loin que le bout de son nez. Je suis persuadée que les organisations d’aide et de soins à domicile sans but lucratif continueront de jouer à l’avenir un rôle de premier plan.
Peter Mosimann et Rahel Gmür, ont participé à l’interview en tant vice-présidents du Comité central de l’Association suisse des services d’aide et de soins à domicile. Peter Mosimann est aussi secrétaire général de l’Imad à Genève alors que Rahel Gmür préside l’Association cantonale bernoise d’aide et de soins à domicile. Cet interview est paru dans l’édition octobre/novembre 2016 du magazine. Il a été reproduit ici avec l’aimable autorisation de la rédaction.Davantage d’informations :Avenir Suisse : «De nouvelles mesures pour les soins aux personnes âgées» Association suisse des services d’aide et de soins à domicile : «Etude sur les limites économiques de l’Aide et soins à domicile»