Un an après le début de la crise, les politiques de santé publique doivent s’adapter. Avec le nombre de personnes immunisées ou vaccinées qui augmente tous les jours, il faut adopter des approches plus différenciées que des fermetures aveugles de commerces. Dans ce contexte, l’idée d’un passeport vaccinal, appelé aussi certificat d’immunité, fait son chemin. Alors que l’Union Européenne statuera ce mercredi 17 mars sur ses modalités, le débat politique sur son introduction en Suisse est encore à ses balbutiements. On entend souvent que cet outil introduirait «des privilèges», créerait des «discriminations» ou creuserait le fossé intergénérationnel, permettant aux retraités vaccinés de «faire signe aux jeunes depuis les terrasses».
La question de solidarité est mal appréhendée
Si les questions d’égalité et de solidarité soulevées sont importantes, elles sont souvent mal appréhendées. Les détenteurs d’un certificat d’immunité n’obtiendraient non pas quelque chose de nouveau – un privilège –, mais recouvreraient uniquement leurs droits fondamentaux. Les libertés de mouvement et de réunion sont ancrées dans notre Constitution. La privation de ces droits par l’Etat n’est possible que là où des lois le prévoient explicitement. Si des restrictions étaient compréhensibles lors de la première vague de l’épidémie, la situation a profondément changé depuis qu’une part importante de la population a contracté la maladie ou été vaccinée. Le fardeau de la preuve est ainsi renversé. Alors qu’avant, il revenait aux individus de prouver la pertinence de la levée des restrictions étatiques, aujourd’hui, avec toujours plus de personnes immunisées, c’est à l’Etat de démontrer que les privations de droits fondamentaux sont encore justifiées.
Permettre aux détenteurs d’un certificat d’immunité de visiter plus facilement leurs proches en EMS, d’alléger leurs mesures de quarantaine ou d’assister à des événements sportifs ou culturels n’est pas non plus discriminatoire. Pour qu’il y ait discrimination, il faudrait que le certificat crée un désavantage pour les personnes qui n’en possèdent pas. Or, dans la situation actuelle, personne ne peut aller au restaurant ou participer à un concert. En allégeant les mesures pour les détenteurs d’un certificat d’immunité, on ne pénalise pas les personnes non-immunisées – leur situation reste la même. Bien sûr, le fait que tous ceux qui désireraient être vaccinés ne puissent pas l’être est frustrant. Mais refuser la liberté aux personnes immunisées sous prétexte que tous les prisonniers que nous sommes ne peuvent pas être libérés en même temps ne fait pas de sens : on ne demande pas non plus aux personnes à risque d’attendre que suffisamment de vaccins soient disponibles pour toute la population avant de les vacciner.
Au contraire, un principe phare d’égalité stipule que l’Etat, d’une part, ne peut pas traiter de manière inégale des cas de figure qui sont substantiellement identiques. D’autre part, il ne peut pas traiter de manière identique des situations qui sont substantiellement inégales. Or, les personnes immunisées ou vaccinées sont objectivement différentes puisque, selon toute vraisemblance, elles ne représentent plus un risque de santé publique pour leurs concitoyens.
Pas de conflit intergénérationnel
Maintenir la stratégie insatisfaisante de garder les restaurants, les théâtres et les stades fermés pour tous ne comblerait pas non plus le fossé intergénérationnel, même si ce sont les personnes à risque, souvent plus âgées, qui peuvent être d’abord vaccinées et qui donc pourraient accéder plus tôt à ces établissements. C’est l’inverse. Le personnel des branches touchées par les fermetures obligatoires est souvent composé de personnes jeunes. Accepter des réouvertures pour une partie de la population, c’est leur permettre de gagner un revenu et leur garantir les contacts sociaux, vitaux pour leur santé mentale.
Certes, le certificat d’immunité n’est pas la panacée. Il est toutefois un instrument parmi d’autres pour retourner graduellement vers une vie normale. Il est crucial que nos politiciens légifèrent au plus vite sur ce sujet. Nous ne pouvons pas attendre que tous soient vaccinés pour s’interroger sur les changements que cela implique. Après une politique d’approvisionnement de vaccin suboptimale, une cacophonie et un manque d’anticipation dans la planification des campagnes de vaccination, nous ne pouvons pas nous permettre une autre défaillance de l’Etat dans la lutte contre la pandémie.
L’Europe voisine, Israël, et d’autres pays asiatiques comme Singapour l’ont compris. Qu’on le veuille ou non, le train du passeport vaccinal est en marche et accélère chaque jour. Nous pouvons soit regarder passer ce train, telle la célèbre vache violette d’une marque de chocolat suisse, en ruminant sur les conséquences sociales et économiques désastreuses des mesures de confinement. Soit on peut prendre le taureau par les cornes en introduisant un instrument numérique et compatible avec les sytèmes à l’étranger qui, combiné avec d’autres mesures, permettra à notre société non pas d’éradiquer le virus, mais de mieux vivre avec.
Cet article est paru le 16 mars 2021 dans le quotidien Le Temps.