Sous le numéro d’ordre 16.3999 se cache la motion du conseiller national bernois et du fonctionnaire syndical Corrado Pardini qui demandent «des droits fondamentaux et une charte pour une digitalisation démocratique». L’offensive est empreinte de scepticisme par rapport aux avancées technologiques, étant donné que celles-ci pourraient – selon le motionnaire – mettre des droits fondamentaux en péril. Il faudrait selon lui écarter des menaces pour la solidarité.

Il est quelque peu étonnant de voir que la nouvelle économie de plateforme est fermement combattue par les syndicats, alors que ces modèles de travail flexibles offrent de nombreux avantages pour les employés. Par ailleurs, il est souvent oublié que ces nouvelles offres correspondent à un besoin du consommateur. Rien que dans les environs de Zürich, le service de transport Uber compte environ 100’000 clients. Son chiffre d’affaires double tous les six mois– et des nouveaux modèles d’occupation se développent en conséquence sur le marché du travail. Ceux qui disposent d’un véhicule propre devraient avoir la possibilité d’offrir leurs services via Uber. Et les personnes ayant une chambre bien rangée dans leur appartement ont la possibilité de réaliser un revenu d’appoint en tant qu’hôte via la plateforme de réservation Airbnb.

La vieille image de la lutte des classes, comme elle a eu lieu à la manifestation du 1er mai 1972, n’est plus pertinente. Les frontières entre employé et employeur s’estompent dans une économie digitale. Bibliothèque de l’ETH Zurich, archives image

Les lois suisses ne suivent pas face à ces évolutions. Elles ont été créées dans un contexte de travail industriel classique, selon une vision traditionnelle dans laquelle le travail a lieu dans un cadre temporel et spatial limité à l’entreprise. Lors de l’adoption de la loi sur le travail, le temps de travail pouvait encore être distingué de manière stricte du temps libre, les smartphones et la possibilité qui en découle de lire ses emails après avoir quitté le travail n’existait pas encore. Mais le monde du travail change: dans le secteur des services les horaires peuvent être définis de manière flexible et s’adapter aux besoins personnels.

Le résultat de notre travail, souvent sous forme de données numériques, est de moins en moins lié à un endroit fixe. Et nous employons tout autant nos smartphones pour un usage privé. Les heures de travail maximum sont définies par semaine, alors que le volume de travail varie souvent et n’a pas la même ampleur. Dans ce contexte, une réforme fixant la moyenne des heures de travail par semaine à 45 heures maximum par année – à la place des heures de travail maximum par semaine – s’impose. La frontière entre les statuts d’indépendant et de salarié s’estompe visiblement de plus en plus. Les travailleurs de plateforme ont en principe la possibilité de choisir leurs heures de travail comme le feraient des indépendants. En utilisant les services d’Uber par exemple, un chauffeur accepte les conditions générales de l’entreprise, ce qui le rapproche du statut de salarié. En parallèle, il choisit lui-même quelles courses il accepte ou non. Juridiquement il n’est donc pas clair si Uber a le statut d’un employeur.

De ce fait, la création d’un nouveau statut, celui de «travailleur indépendant», s’impose. Il offrirait une protection sociale – comme c’est le cas pour les salariés aujourd’hui. Mais comme les «travailleurs indépendants» peuvent décider de leur volume de travail (par exemple en ne se connectant pas à la plateforme), le risque de chômage ne peut être couvert. Voilà pourquoi l’obligation de cotiser à l’assurance-chômage (AC) tomberait.

Par ailleurs, le nouveau statut du «travailleur indépendant» serait conçu comme une option volontaire pour l’employeur et l’employé. Cela garantirait une sécurité juridique pour les nouveaux travailleurs de plateformes digitales et pour les entreprises. Actuellement le choix du statut incombe aux assurances sociales et bloque la liberté de choix dans des cas particulier. Malgré le fait que la frontière entre employeur et employé s’estompe de plus en plus dans une économie digitale, les syndicats refusent cette évolution – et préfèrent miser sur la vieille carte de la lutte des classes. Mais le fait est que la croissance de l’emploi a majoritairement lieu dans le secteur digital, avec une augmentation de près de 50% depuis le tournant du millénaire.

La version en allemand de cet article est parue dans la «Luzerner Zeitung» et le «St. Galler Tagblatt» du 27 mars 2018.