Les hôpitaux suisses sont sous pression. Le progrès technique les oblige à acquérir des appareils toujours plus coûteux et à réaliser des investissements considérables. Ils subissent en outre la pression des politiques, qui leur demandent d’augmenter les traitements en ambulatoire, c’est-à-dire sans nuitée à l’hôpital.

Si cela présente un avantage pour les patients, la réduction des durées d’hospitalisation entraîne toutefois une réduction du nombre de lits nécessaires, et donc des surcapacités. Les derniers grands changements en matière de financement hospitalier datent de 2012, avec l’introduction des forfaits par cas du système DRG. Aujourd’hui, l’argent suit le patient. Les hôpitaux ne sont plus subventionnés directement, ce qui a conduit à un renforcement de la concurrence.

Les tentatives de consolidation sont contrecarrées par des efforts pour maintenir les structures. La plupart des cantons tentent de protéger leurs hôpitaux contre cette concurrence accrue. En effet, pour de nombreux conseillers d’Etat, directeurs de la santé ou directeurs de l’économie, les hôpitaux sont un instrument non seulement de politique de santé, mais également de politique régionale.

Un marché en croissance

Les établissements hospitaliers sont des employeurs importants. En 2018, les hôpitaux, cliniques de réadaptation et hôpitaux psychiatriques employaient 168 000 salariés à temps plein, soit 35 000 de plus (+27 %) qu’il y a 10 ans. Dans de nombreuses régions, l’hôpital est même le principal employeur. Les hôpitaux cantonaux de Neuchâtel et des Grisons l’annoncent d’ailleurs fièrement sur leur site Internet. L’hôpital cantonal de Lucerne et ses 7000 employés représente la plus grande entreprise de Suisse centrale. La croissance du secteur hospitalier bénéficie aux responsables politiques puisqu’avec la hausse du nombre d’employés et leur famille, c’est aussi le nombre d’électeurs potentiels qui augmente.

Un marché à 29 milliards de francs

Indépendamment des emplois, le poids financier des hôpitaux est lui aussi considérable. Avec 29,5 milliards de francs en 2018, ceux-ci représentaient plus d’un tiers de toutes les dépenses de santé. Ici aussi, la tendance est à sens unique : les dépenses hospitalières ont augmenté de 42 % depuis 2008, alors que durant la même période, la croissance du produit intérieur brut n’était «que» de 15 % (cf. graphique).

Environ deux tiers des coûts correspondent à des dépenses de personnel. Lorsque les employés sont domiciliés dans le canton, leur salaire représente une manne fiscale importante. Toutefois, les salaires dans le secteur de la santé sont moins élevés que dans des secteurs à plus forte valeur ajoutée tels que le secteur pharmaceutique ou le secteur des services financiers. Les hôpitaux eux-mêmes sont souvent exonérés d’impôts sur les bénéfices, la plupart d’entre eux fonctionnant en tant que sociétés à but non lucratif.

Poche gauche, poche droite

Les avantages économiques et politiques d’un hôpital reviennent toutefois cher aux cantons. Ceux-ci, ou plutôt leurs contribuables, prennent en charge 55% des coûts des forfaits DRG pour les séjours stationnaires, ce qui représentait 7,1 milliards de francs en 2017. S’ajoutaient à cela 1,8 milliard de prestations d’intérêt général, telles que le maintien de centres d’urgence dans les régions périphériques. En outre, les cantons ont proposé des mesures de soutien sous forme de loyers ou de financements en dessous des conditions du marché pour un montant de 340 millions de francs.

Les assurances-maladie, donc in fine les payeurs de primes, prennent en charge le reste, soit 45% des coûts forfaitaires pour les soins stationnaires et la totalité des coûts pour les traitements ambulatoires. L’augmentation des frais et les hausses de primes qui en résultent représentent une charge pour les assurés comme pour les cantons. En 2018, ils ont dû financer des réductions individuelles de primes pour un total de deux milliards de francs.

Loyal envers les employés ou les citoyens ?

Compte tenu du nombre élevé d’emplois créés, mais également de l’importance de la charge fiscale, les cantons sont confrontés à un conflit d’intérêts. En tant que propriétaires, ils souhaitent mettre en place des conditions-cadres permettant de protéger leurs hôpitaux de la concurrence et de garantir des tarifs aussi élevés que possible. Mais en tant que représentants des contribuables, ils sont tenus d’assurer l’accès à des soins de qualité aussi économiques et efficaces que possible, même si cela implique des prestations extracantonales.

De nombreuses figures politiques soutiennent l’idée que, si le canton paie, l’argent doit circuler dans la région. Pourtant, les emplois dans le secteur hospitalier sont financés par des prélèvements obligatoires, lesquels réduisent les revenus des familles. Personne ne se permettrait de doubler le nombre de commissaires des impôts ou le corps de police sous l’unique prétexte de créer des emplois au sein du canton. En matière de fiscalité, de sécurité, mais également de santé, l’objectif visé doit déterminer le nombre d’emplois créés et non pas les réflexes protectionnistes. Ceux-ci risqueraient en effet de provoquer un effet boomerang.

En effet, le financement d’emplois inutiles via les impôts et les primes de caisses-maladie entraîne une augmentation des prélèvements obligatoires. Cela décourage les investisseurs potentiels ou les employés qualifiés et nuit au développement d’entreprises existantes ou à l’implantation de nouvelles sociétés. En période de récession mettant à mal les caisses de l’Etat, des finances publiques en bonne santé et des structures de soins intégrées et efficaces constituent la meilleure forme d’encouragement pour l’entreprenariat, et donc pour la création ou le maintien d’emplois. – Et non pas, le souci romantique de préserver «son» hôpital.

Cet article a été publié dans “Place au dialogue” 3/20 de CSS Assurance.