Les réformes prévues dans les hôpitaux publics exigent plus d’autonomie entrepreneuriale et davantage de compétitivité. Afin de permettre aux hôpitaux de mieux orienter leurs prestations aux besoins des patients et de répondre aux exigences des caisses de maladie, ils devront être gérés à l’avenir de manière plus autonome. Le monitoring des cantons d’Avenir Suisse analyse la structure de gouvernance des hôpitaux par canton. La comparaison montre qu’en dépit des réformes juridiques et opérationnelles, la marge de manœuvre des hôpitaux est encore très limitée. En outre, les différences intercantonales sont importantes.

Il apparaît qu’en général la plupart des cantons tendent vers une plus grande autonomie formelle de leurs hôpitaux. Ainsi bon nombre d’hôpitaux jouissent d’une indépendance en matière de gouvernance ou sont dotés d’un statut privé de sociétés hospitalières. En parallèle à l’indépendance juridique, les hôpitaux ont leurs propres structures de gouvernance (coûts de fonctionnement et des prestations), gérées pour la plupart par des contrats de droit privé. L’analyse indique que les hôpitaux des cantons de SZ, AG, BE, NE et ZG bénéficient en moyenne d’une grande autonomie. A l’inverse, cette liberté entrepreneuriale est plus limitée dans les cantons de BL, GE, LU, AI, GL et FR.

A y regarder de plus près, il convient de relativiser grandement l’indépendance des hôpitaux vis-à-vis du monde politique et de l’administration. En effet, les cantons et les communes sont les principaux propriétaires et exploitants des hôpitaux. L’engagement privé reste encore très modeste. Même dans le cas des hôpitaux publics – privatisés en droit -, les pouvoirs publics restent en règle générale propriétaires exclusifs des immeubles alors même que la loi autoriserait un actionnariat privé.

Mais l’autonomie entrepreneuriale est aussi limitée par d’autres facteurs. Les pouvoirs publics, en qualité d’autorité habilitée à décider de la construction et de la localisation, peuvent toujours exercer une influence sur les décisions stratégi-ques. L’autonomie est en outre limitée par des instruments de financement. En réalité, les budgets globaux sont de plus en plus souvent calculés sur la base de la facturation effective des prestations en fin de période, un système qui tend à ex-clure les incitations à générer des profits par une plus grande efficacité ou par des gains de parts de marché.

Les restrictions de l’autonomie entrepreneuriale sont encore plus patentes dans le domaine des investissements. Souvent, les hôpitaux sont contraints de solliciter des crédits pour la construction d’ouvrages spécifiques. Dans ces cas, chaque acquisition devient un enjeu politique au moment des délibérations sur le budget cantonal. Enfin, un grand nombre d’hôpitaux se voient interdire la possibilité d’obtenir des crédits privés pour le financement d’acquisitions im-portantes.

Le monitoring des cantons analyse la gouvernance des hôpitaux en fonction de plusieurs indicateurs. Outre la forme juridique et foncière, des aspects tels que la gouvernance stratégique et opérationnelle, la gestion des ressources humaines, l’octroi des compétences, les instruments de financement et de subventions ainsi que l’exploitation immobilière sont évalués. Il en résulte une vue d’ensemble des structures de gouvernance de 125 hôpitaux de soins aigus et somatiques (sans les cliniques psychiatriques et de réadaptation) représentant 90% des hôpitaux et cliniques spécialisées inscrits sur la liste par canton et habilités à facturer leurs prestations à l’assurance obligatoire des soins.

Par manque de données, l’étude ne se penche pas sur la question de savoir si une plus grande indépendance par rapport à la sphère politique et aux autorités va de pair avec des coûts hospitaliers plus bas ou une meilleure qualité des prestations. L’autonomie doit plutôt être considérée comme un élément important d’un futur système de santé qui, à la concurrence accrue, ajoute la transparence sur la qualité des prestations. Pour s’affirmer sur un tel marché, les fournisseurs de prestations doivent avoir les coudées franches pour leur gestion. Idéalement, les hôpitaux devraient être des institutions de droit privé indépendantes offrant des prestations partielles ou complètes. Dans cette perspective, le moins que l’on puisse dire, c’est que le paysage hospitalier actuel en est encore loin.

En tant que propriétaires et exploitants des hôpitaux, planificateurs, acheteurs de prestations, arbitres dans la définition des tarifs, les cantons portent ainsi de multiples casquettes entraînant inévitablement des conflits d’intérêts. Il n’est pas rare que des intérêts politiques s’imposent au détriment du rapport coût-efficacité et de la qualité des traitements. Le rôle multiple de l’Etat pose aussi un problème considérable dans l’évolution des marchés hospitaliers. Face à la concurrence, les hôpitaux ont besoin d’autonomie entrepreneuriale pour se positionner. Dans un tel contexte, l’Etat devrait se contenter de fixer des conditions-cadres pour les hôpitaux.

Capacité d’innovation du fédéralisme
Le monitoring des cantons fait suite aux publications précédentes d’Avenir Suis-se («Coût du fédéralisme », «Le fédéralisme en chantier» et «Urbanscape Switzerland»). Alors que ces travaux traitent principalement des limites du fédéralisme suisse et de l’écart de plus en plus marqué entre la politique et les régions fonctionnelles (Régions métropolitaines), le Monitoring des cantons soulève la question de la capacité d’innovation du fédéralisme.

La « petite » Suisse en comparaison européenne s’accorde 26 politiques canto-nales en matière de santé induisant un système de santé très complexe, décentralisé et fragmenté. Comment être performant dans un tel système lorsqu’il s’agit d’assurer des prestations de santé de grande qualité ? Comment les cantons agissent dans un contexte décentralisé et limité ? Est-il possible d’établir au niveau fédéral une politique cohérente en matière de santé qui serait développée en commun par l’Etat et les cantons et qui définirait des stratégies et des projets ? Comment maintenir, en dépit des besoins d’harmonisation et d’unification, la diversité et la capacité d’innovation des structures cantonales et régionales ? La diversité du système de santé suisse ne pourrait-elle donner lieu à de nouvelles solutions issues du « laboratoire fédéral » d’un caractère exemplaire ? Ces questions ne sont évidemment pas liées à la décision du Parlement d’introduire des indemnisations forfaitaires puisqu’il s’agit pour les hôpitaux publics d’opérer avec une plus grande transparence financière.