Lorsque l’on considère l’aéroport de Zurich sur la base de sa participation au trafic aérien suisse et de sa signification économique, on s’aperçoit qu’il est une infrastructure nationale. Or, paradoxalement, son avenir est de plus en plus déterminé par des conflits locaux et régionaux dans lesquels on voit se succéder en vain des tables rondes, des processus de coordination et des initiatives populaires. En même temps se développent des constructions dans les communes avoisinantes et ses habitants constituent une population qui est non seulement concernée par l’aéroport mais lui est potentiellement hostile. Ils forment ainsi une base de recours contre son fonctionnement et contre toute possibilité de dédommagement.

C’est à l’aéroport de Zurich, centre stratégique de la compagnie Swiss, qu’arrive 80% du fret dans notre pays et que transitent 81% de tous les vols intercontinentaux atterrissant en Suisse. Précisons qu’on y assiste à des transferts de passagers dans ce « Hub » helvétique dans la proportion de 95%. Autre précision : 60% des passagers suisses proviennent d’autres cantons que Zurich. De manière générale, cet aéroport est un moteur de notre économie dont les effets vont bien au-delà de telle ou telle partie du pays. Pour une économie suisse engagée dans la mondialisation, que l’on peut observer au niveau de l’industrie financière, de l’industrie d’exportation, et du tourisme, nous ne pouvons pas nous passer de cet aéroport. Tous ces éléments contribuent à faire de lui une infrastructure nationale.

Et cependant, en dépit de ce statut et malgré les compétences constitutionnelles de la Confédération en matière de politique aéronautique, le canton reste l’acteur principal de la gestion de cet aéroport. Par exemple, Zurich détient un tiers des actions de la société qui l’administre et exerce son influence de quasi-régulateur grâce aux droits découlant de son statut de propriétaire majoritaire. Du fait que le système des pistes et que le règlement d’exploitation déterminent la répartition des zones de bruit, les conflits autour de l’aéroport sont déterminés par le principe de Saint Florian. Dans la politique zurichoise et dans le processus PSIA (planification des infrastructures pour le trafic aérien – processus de coordination pour l’aména-gement territorial entre la Confédération et les cantons concernés en vue d’un nouveau règlement d’exploitation pour l’aéroport), les acteurs amenés à discuter pour prendre des décisions semblent plus venir du plus haut des cieux que des parties concernées.

Grâce au fait que le volume de bruit produit par les avions a baissé de presque deux tiers, dans les vingt dernières années, le champ d’émissions produites par les avions. Dans le même temps, la population de nombreuses communes riveraines a augmenté de 20 à 80%, chiffre qu’il faut comparer à une moyenne zurichoise de 15%. Les instruments de planification, qui permettraient un aménagement territorial correspondant à cette augmentation, nous manquent, notamment, parmi eux, une véritable volonté politique.

Ainsi s’explique le fait que, depuis une dizaine d’années, nous assistons à des tables rondes, à des processus de coordination dont on ne voit pas la fin, tout cela passant constamment par des chamailleries lors de processus de concertation. Or, ce conflit sans terme sur le bruit produit par l’aéroport, met en question son avenir. L’étude d’Avenir Suisse décrit comment nous en sommes arrivés à une situation aussi grave. Au centre de l’analyse nous trouvons les conditions cadre. La raison la plus profonde de cette situation tient à une large dispersion des compétences à différents niveaux de l’action politique (aménagement du territoire – régulation du trafic – politique étrangère) et à une superposition des compétences (Confédération – cantons – communes). Dans cet « enchevêtrement fédéral » on ne trouve pas d’instance supérieure qui pourrait pondérer les intérêts.

Trois scénarios pour le renforcement de l’aéroport national de Zurich
Dans presque toutes les infrastructures nationales, nous avons assisté, depuis la fondation de la Confédération, à des déplacements de compétences des cantons vers la Confédération. Ces déplacements ont été déclenchés par des changements technologiques, de forts besoins d’investissement, des crises sectorielles ou des réflexions sur une meilleure efficacité. C’est la raison pour laquelle nous proposons, pour l’aéroport de Zurich, un renforcement des compétences de la Confédération. Pour que ce changement puisse se produire, notre étude esquisse trois scénarios.

D’abord le scénario « statu quo » dans lequel les différents acteurs pourraient, dans l’esprit qui caractérise notre fédéralisme coopératif et avec les instruments juridiques dont nous disposons, s’efforcer de parvenir à un apaisement du conflit. Par l’achèvement du processus PSIA on pourrait s’entendre sur un nouveau règlement de fonctionnement et, parallèlement à cela, tenter de lever le blocage provenant des limitations de vol mises en place par l’Allemagne. Mais une solution aussi consensuelle exige un très haut degré de volonté politique et de disponibilité à des compromis.

Un autre scénario pourrait consister en un « déplacement consensuel des compétences ». Dans ce cas, le canton de Zurich grâce à un dédommagement de la Confédération, renoncerait à son droit de veto sur le développement futur de l’aéroport. Quant aux communes, elles devraient accepter de voir mises en place des limites à l’aménagement de leur territoire. Un tel déplacement de compétences ne devrait pas être considéré comme une perte du point de vue du canton, mais comme une véritable « libération ». Le conflit autour de l’aéroport est en effet comme un corset, depuis presque dix ans, pour les possibilités de développement administratifs et politiques du canton. Il va de soi que ce deuxième scénario devrait être légitimé par le peuple.

Enfin, un autre scénario pourrait consister en un « vote populaire au niveau national ». Le conflit autour de l’infrastructure nationale serait tranché par le souverain. Cela pourrait être accompli grâce à une révision de la loi sur la politique aéroportuaire, par un référendum lancé par la Confédération ou encore par un changement dans la Constitution. Le contenu d’un tel vote pourrait consister en une responsabilité de la Confédération pour le règlement d’application ou en une mission portant sur le fonctionnement de l’aéroport intercontinental. Ce scénario pourrait aussi comporter des limitations en matière d’aménagement de l’habitat

La question des compétences de la Confédération lorsqu’il s’agit des aéroports suisses a déjà été thématisée lors du jugement portant sur le rapport concernant la politique sur le trafic aérien. Cette opération a été effectuée par le Conseil national en 2004. La prévision d’une révision partielle de la loi sur ce trafic offre la possibilité d’un nouvel aménagement des compétences. Il ne s’agit pas d’étatiser le secteur de l’aviation mais d’une régulation claire des compétences pour une infrastructure nationale. Son développement ne peut plus être dominé par des intérêts particuliers.

L’analyse d’Avenir Suisse se limite délibérément à l’aéroport de Zurich, parce que sa situation n’est guère comparable à celle d’autres grands aéroports comme ceux de Genève ou Bâle. Les propositions pour une solution au conflit ne peuvent donc pas être simplement transposées sur les cas tout à fait différents de ces aéroports.