La promotion de la collaboration scientifique entre hautes écoles et entreprises est assurée par la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI). Sa mission principale consiste à renforcer le système d’innovation national.

La CTI doit maintenant faire peau neuve. Dans son message du 25 novembre 2015, le Conseil fédéral propose de transformer la Commission en un établissement de droit public possédant sa propre personnalité juridique et de la rebaptiser «Agence suisse pour l’encouragement de l’innovation» (Innosuisse). Après 1996 et 2001, c’est déjà la troisième modification de la forme juridique de la CTI, sans pour autant que ses fonctions soient fortement modifiées ; jusqu’à maintenant, il a toujours été question de renforcer l’autonomie de la CTI par rapport à l’administration. Mais cette fois-ci, sa structure et son mode de gouvernance devraient être totalement renouvelés. Afin d’être mieux parée pour relever les défis que représente l’encouragement à l’innovation, plusieurs organes seront créés : un conseil d’administration comme organe stratégique, une direction comme entité opérationnelle, et enfin un conseil de l’innovation, responsable du soutien concret aux projets.

Structure follows strategy

Dans la gestion d’entreprise, le principe «structure follows strategy», à savoir que l’organisation doit se conformer à la stratégie, prévaut. Malheureusement, le Conseil fédéral n’a pas vraiment l’air d’être informé sur la question. Il se limite en effet à insister sur le fait que sa politique d’innovation est conforme à celles des pays occidentaux industrialisés sur la base du «Système d’innovation national» (SIN). Ce terme englobe un ensemble d’institutions, d’acteurs, ainsi que leurs relations. La mission de la politique d’innovation de l’Etat consiste à éviter tous les problèmes d’interface grâce à des conditions-cadres adéquates. Le rôle de l’Etat à ce sujet est subsidiaire par rapport à celui du secteur privé.

La politique d’innovation suisse menée jusqu’à présent, qui pour rappel ne pratique ni le soutien top-down de projets, ni le paiement direct de subventions à des entreprises, a fait ses preuves. Cela se reflète entre autre dans les places élevées obtenues dans les classements internationaux portant sur l’innovation. Cependant, dans un blog paru en février 2015 déjà «La CTI à la recherche d’un profil», Avenir Suisse avait soulevé la question de savoir si cette politique était viable sur le long terme, au regard des changements liés à la concurrence internationale en matière d’innovation, de la digitalisation étendue ainsi que des futurs défis démographiques.

Si l’on considère le développement de la productivité comme élément central de la prospérité de la Suisse, les questions suivantes se posent :

  • La modeste progression de la productivité en Suisse en comparaison avec les principaux pays concurrents est-elle la conséquence d’un système d’innovation déficient ? Selon le rapport de l’OCDE le plus récent, la Suisse se tient largement à la traîne par rapport aux pays les plus performants (Corée, Etats-Unis, Irlande, Finlande) concernant le développement de la productivité totale des facteurs, qui devrait justement refléter la qualité du progrès technologique suite aux innovations en matière de produits et de processus.
  • La modeste performance de productivité est-elle liée aux déplacements structurels de domaines économiques avec une productivité élevée à un secteur des services qui nécessite davantage de travail et est moins productif ? Les facteurs démographiques jouent-ils un rôle, sachant que la capacité d’innovation moyenne par personne active diminue avec le vieillissement de la population ? Ou alors la perte de productivité est-elle due aux faibles investissements, notamment dans les investissements d’équipement ?
  • Le modèle d’affaires de la CTI, qui reposait sur une idée de processus d’innovation incrémental, est-il encore d’actualité à une époque où les entreprises misent de plus en plus sur les projets disruptifs ? Comment la dernière phase, si décisive, de test avant l’introduction sur le marché, pourrait-elle être mieux appréhendée ?
  • Que signifie le changement d’horizon temporel entre les différents domaines scientifiques (à plus long terme pour les sciences de la vie d’un côté, toujours à plus court terme pour les technologies de l’information et de communication de l’autre) pour la répartition des rôles entre le Fonds national suisse et la CTI ? La division du travail décrétée par la loi, entre la recherche fondamentale, celle orientée vers l’application pratique, la recherche appliquée ainsi que les projets pilotes et de démonstration est-elle encore valable de nos jours ?
  • Le phénomène observé ces dernières années en Allemagne selon lequel le poids des investissements dans la recherche et le développement s’est déplacé au profit des industries actives dans la recherche et des grosses entreprises s’applique-t-il aussi en Suisse ? Qu’est-ce que cela signifie pour la dynamique de création des jeunes entreprises qui assureront la relève économique de notre pays ?
  • Les jeunes entreprises et le financement de start-ups subissent-ils le droit fiscal qui désavantage justement le financement participatif pour les start-ups ?

La politique économique en tant qu’unité

Ce sont questions qui vont bien au-delà du domaine d’action de la CTI et qui touchent l’intégralité de la politique économique. Cependant, la tentation pour la politique de se défiler devant les interrogations soulevées et de chercher refuge dans des mesures isolées est forte. Mais il n’existe pas uniquement un seul grand problème et une seule mesure pour le résoudre. Il ne sert pas à grand-chose de simplement vouloir augmenter les moyens financiers pour la formation et la recherche sans suivre dans le même temps une politique économique consistante et ambitieuse. Le récent rapport de l’OCDE au sujet de la Suisse a montré que les entraves à la concurrence et une forte densité réglementaire exerçaient une influence importante sur le développement de la productivité.

En fin de compte, de nombreux facteurs provenant de différents domaines politiques sont cruciaux pour l’innovation et la compétitivité d’une économie. Il faut des salaires orientés vers la productivité ou un coût du travail compétitif, des structures fiscales orientées vers la croissance et l’innovation, une main-d’œuvre bien formée, des marchés financiers efficients, un approvisionnement en énergie sûr, des finances d’Etat solides et des réglementations dirigées vers un modèle global de «best practice». La transformation de la CTI peut certes être une étape nécessaire, mais elle n’est sûrement pas encore la solution qui garantisse l’innovation et la compétitivité en Suisse.