Des pancartes colorées, des slogans variés et des femmes à perte de vue : voilà la scène qui a marqué les centres-villes suisses le 14 juin 2019. Des centaines de milliers de femmes ont exprimé leur colère face aux inégalités salariales, à la difficulté de concilier vie familiale et professionnelle ou au fait qu’elles continuent à effectuer la majeure partie du travail domestique et familial non rémunéré. Elles ont appelé à l’égalité par une grande variété d’actions. Un an après la grève des femmes, le bilan est décevant. Et ce n’est pas parce que la mobilisation des femmes n’a pas été prise au sérieux.

Au contraire, la grève des femmes et les discussions qu’elle a déclenchées ont remis la thématique de l’égalité en bonne place dans l’agenda politique et dans les esprits. Ce changement de mentalité a par exemple été perceptible lors des dernières élections fédérales. Jamais autant de femmes n’avaient été élues par le passé, ce qui s’explique probablement aussi par le fait que davantage de femmes se sont présentées et qu’elles ont été mieux placées sur les listes que lors des années précédentes.

Depuis au moins la grève des femmes, une grande partie de la population s’accorde à dire qu’il y a encore de nombreux progrès à faire en matière d’égalité, malgré les nombreuses réalisations de ces dernières décennies. Mais les avis sont partagés sur la manière d’améliorer concrètement la situation des femmes. Cela est également le cas en politique, où le Parlement a accéléré les réformes en faveur de l’égalité. Il a par exemple décidé d’introduire des valeurs indicatives de représentation des femmes à la tête des entreprises cotées en bourse ou de créer un congé paternité de deux semaines, sur lequel nous voterons le 27 septembre.

Grève des femmes à Zurich, le 14 juin 1991 (ETH-Bibliothek Zürich, Wikimedia Commons)

La première mesure permet d’attirer l’attention sur le manque de représentation des femmes dans les organes de direction, mais risque d’avoir peu d’impact sur l’égalité dans la vie professionnelle. Le congé paternité est un appel du pied symbolique à l’attention des pères, pour une plus grande implication de leur part dans la sphère familiale. Mais un congé parental pouvant être réparti de manière flexible aiderait davantage les parents à concilier vie familiale et professionnelle. Les deux réformes sont des compromis politiques qui ne s’attaquent pas à la racine du véritable problème.

Cela ne permettra pas une meilleure égalité sur le marché du travail et une répartition des rôles plus égalitaire. Il faut plutôt supprimer les obstacles à un engagement professionnel plus marqué des femmes. L’un de ces obstacles est la nature sexiste du système fiscal : l’imposition conjointe des couples mariés conduit à taxer beaucoup plus fortement les revenus des femmes – puisque le second revenu d’un foyer est généralement le leur – que si elles étaient imposées individuellement. Un système fiscal qui se base sur la répartition traditionnelle des rôles et qui incite les femmes mariées à ne pas travailler ou à travailler à de faibles taux d’occupation n’est plus en phase avec notre époque.

Au cours des derniers mois, la crise du coronavirus et le semi-confinement qu’elle a imposé nous a rappelé à quelle vitesse nous retombons dans les anciens rôles de genre. La division traditionnelle du travail pourrait sortir renforcée de la votation de septembre. En effet, une déduction pour enfants plus élevée, telle que soumise au vote, ne réduit que peu les incitations négatives à l’emploi créées par le système fiscal. Cette mesure d’allègement, basée sur le principe de l’arrosoir, permettra d’augmenter le revenu familial quel que soit le comportement en matière d’emploi. Cela pourrait amener certaines mères à réduire plutôt qu’à augmenter leur offre de travail.

Etant donné que nous voulons progresser et non régresser en matière d’égalité, il est plus indispensable que jamais de ne pas se contenter de petits pas, mais d’oser sauter le pas en passant à l’imposition individuelle.

Celle-ci permettrait de réduire considérablement les incitations négatives à l’emploi créées par le système fiscal. Selon les estimations, l’introduction de l’imposition individuelle aux niveaux fédéral et cantonal pourrait créer jusqu’à 60 000 emplois équivalents plein temps supplémentaires. Cela représente une augmentation du taux d’occupation de 20% pour près d’une femme active sur sept. En comparaison avec d’autres mesures de politique d’égalité, les coûts du passage à l’imposition individuelle sont faibles par rapport à son effet sur l’emploi.

L’imposition individuelle permettrait également de clore enfin la discussion, vieille de plusieurs décennies, sur la suppression de la pénalisation du mariage. Pour réaliser un bilan plus reluisant en matière d’égalité ces prochaines années, il faudrait soutenir les familles dans leur transition de la répartition traditionnelle des rôles vers une plus grande participation des femmes sur le marché du travail. Cela demande le courage de procéder à des changements majeurs.