Une analyse peu pertinente

Ce potentiel d’économie se fonde uniquement sur une analyse des retraités ayant formulé une demande de prestations complémentaires. Les entrepreneurs ayant développé une entreprise avec succès, et qui n’ont pas besoin du soutien de l’Etat, n’ont pas été pris en compte. La valeur de leur entreprise ainsi que celle des emplois créés n’ont pas non plus été estimées. Le bilan est ainsi fortement noirci.

A court d’arguments, le Conseil fédéral préfère rappeler dans son projet de réforme que créer une entreprise comporte des risques, et que la moitié des entreprises disparaissent cinq ans après leur création. Certes, mais combien d’entrepreneurs avaient financé leur entreprise avec des avoirs du 2e pilier ? Et parmi ces derniers, combien ont effectivement perdu leur patrimoine de prévoyance suite à leur cessation d’activité ? Là aussi, le Conseil fédéral reste muet.

C’est étonnant, car une étude de 2005 – mandatée par l’Office fédéral des assurances sociales – avait abordé ces questions. D’après ses conclusions, une entreprise sur quatre n’aurait à l’époque pas pu être fondée sans l’apport du 2e pilier, soit 2000 à 3000 PME par an. Par ailleurs, seul un entrepreneur sur dix avait cessé ses activités pour des raisons financières et réalisé une perte sur sa fortune engagée. Toutefois, les données disponibles ne permettaient pas d’estimer la hauteur de ces pertes, ni dans quelle mesure les avoirs de prévoyance étaient concernés. Cette étude souligne ainsi l’importance des fonds de prévoyance pour notre économie et les risques associés relativement limités. Pourquoi ces résultats ne sont-ils pas mentionnés dans le message du Conseil fédéral ? Un oubli ?

Le Conseil fédéral relève également qu’en 2013 le pourcentage de retraités nécessitant des prestations complémentaires était plus élevé parmi les indépendants (8,5%) que parmi les salariés (5,3%). Ce constat est certes intéressant, mais pas pertinent pour la réforme des prestations complémentaires. Ici aussi, la question est de savoir si le taux est plus élevé parmi les indépendants ayant utilisé leur 2e pilier que parmi les autres. Le cas échéant, limiter les possibilités de retrait du capital LPP n’a aucun sens.

Egalité de traitement

Toutefois, la situation plus précaire des indépendants à la retraite doit nous interpeller. Ces derniers ne sont pas soumis à la prévoyance professionnelle obligatoire. Cette exception reflète la situation économique du début des années 1980, lorsque la LPP allait être introduite. L’idée était que les entrepreneurs investissent dans leur entreprise, sous la forme de machines ou de bâtiment, et qu’ils puissent vendre ce patrimoine au moment de leur départ à la retraite. Or, avec l’importance croissante du secteur des services, la fortune d’une entreprise est surtout son «capital humain». Ce dernier se laisse mal monétariser, surtout si l’entreprise consiste principalement en son propriétaire.

A terme, avec le nombre toujours plus important d’indépendants dans le secteur des services, le risque que ces derniers aient une prévoyance vieillesse insuffisante doit être suivi de près. Une meilleure protection sociale, en amont, pourrait devenir nécessaire. Toutefois, limiter les possibilités de retrait du 2e pilier est le mauvais instrument pour atteindre cet objectif. Il crée par ailleurs une différence de traitement entre les entrepreneurs qui se mettent à leur compte jeunes (et qui ne doivent pas cotiser au 2e pilier) et ceux qui se lancent à leur compte plus tard, une fois leurs réseaux et leurs connaissances techniques établis.

En limitant les possibilités de retrait, et donc d’individualisation de la prévoyance professionnelle, les assurés réaliseront de moins en moins que les avoirs LPP leurs appartiennent, et non pas à leur caisse de pension, ni à l’Etat. Enfin et surtout, cette mesure déclenche un faux débat sur les raisons de l’explosion des prestations complémentaires et empêche ainsi une discussion de fond nécessaire pour l’assainissement de cette assurance sociale.

Cet article a été publié dans l'édition 3/2017 de la revue "Prévoyance Professionnelle Suisse".