La 13e rente AVS est pour bientôt, mais son financement n’est toujours pas clarifié. Outre les solutions dites classiques comme l’augmentation des cotisations salariales ou de la TVA, des idées moins conventionnelles circulent en ce moment. L’une d’entre elles, qui trouve désormais un écho au-delà des partis et qui a déjà fait son entrée au Parlement, est l’introduction d’une taxe sur les transactions financières.
L’idée n’est pas nouvelle. Elle a déjà été évoquée dans le cadre du financement d’un revenu de base inconditionnel et, il y a trois ans, l’initiative sur le micro-impôt a échoué au stade de la récolte des signatures. L’initiative populaire avait pour but d’introduire un impôt de 5 ‰ non seulement sur les transactions financières, mais aussi sur tous les paiements électroniques. Le champ d’application aurait ainsi été encore plus large que les idées actuellement discutées dans la Berne fédérale. Alors que les politiques apprécient souvent ces impôts sur les transactions en raison des taux d’imposition à première vue peu élevés, cette solution est problématique d’un point de vue économique.
Volume de transactions ≠ valeur ajoutée
Premièrement, une taxe globale sur les transactions viole (indirectement) le principe de la capacité contributive : les produits finis et les services passent par des étapes intermédiaires très différentes qui, selon les cas, sont liées à des volumes de transactions élevés ou faibles. Ces volumes de transaction ne sont pas synonymes de valeur ajoutée, la TVA tente de tenir compte de cette situation.
Voici un exemple simple pour illustrer cette problématique : en règle générale, un cabinet d’avocats n’a pas besoin de produits intermédiaires. Ainsi, la taxe sur les transactions ne s’applique qu’une seule fois lors de la facturation du service juridique finale. En revanche, un constructeur de machines hautement spécialisées a besoin de différents composants complexes. S’il les acquiert auprès de fournisseurs, une taxe sur les transactions s’applique à chaque fois, de même pour les fournisseurs, qui peuvent eux-mêmes avoir besoin de divers produits intermédiaires.
Disparition imminente de l’assiette fiscale
Deuxièmement, l’assiette fiscale d’une taxe sur les transactions disparaîtra. Alors que les achats quotidiens ne devraient pas subir de grands changements, des mesures d’évitement seront particulièrement observées dans le secteur financier ainsi que dans le commerce de gros et l’industrie.
Ainsi, une taxe sur les transactions dans le commerce de gros et l’industrie créerait de mauvaises incitations en matière d’organisation économique. Les fusions d’entreprises au sein des chaînes de valeur devraient se multiplier. Les motivations seraient fiscales et non à des fins d’efficience économique. Car ainsi, les transactions volumineuses peuvent être internalisées au sein de l’entreprise elle-même, plutôt qu’être effectuées sur un marché. La taxe sur les transactions ne s’applique donc pas.
Si de tels regroupements ne sont pas possibles, il y a une incitation à délocaliser les étapes liées à la valeur ajoutée à l’étranger. Cette dimension internationale est justement d’une importance capitale pour les transactions financières. Ainsi, à l’ère du numérique, les transactions financières peuvent être effectuées relativement facilement dans des juridictions étrangères. Il s’agit là non pas d’une théorie, mais d’une pratique bien réelle.
Mauvaises expériences en Suisse et à l’étranger
En 1984, la Suède a introduit une taxe sur les transactions financières avec un taux d’imposition de 0,5 % pour chaque acheteur et vendeur d’actions et d’options associées. Cinq ans plus tard, la taxe a été étendue aux obligations et aux produits dérivés liés, mais avec un taux d’imposition beaucoup plus faible, compris entre 0,002 % et 0,03 %. Résultat : plus de la moitié des transactions boursières suédoises s’est déplacée à Londres, le commerce des obligations s’est effondré de 85 % la première semaine, malgré un taux d’imposition exprimé en millième, et le commerce des produits dérivés a pratiquement disparu. Les revenus n’ont représenté qu’environ 3 % des recettes attendues dans le cas des obligations et ont complètement disparu dans le cas des actions en raison d’une baisse de l’impôt sur les gains en capital.
La Suisse connaît également un concept similaire avec le droit de négociation pour les commerçants suisses de titres (il s’agit d’un aspect partiel du droit de timbre, qui lui est plus connu) de 0,15 % à 0,3 % sur l’achat et la vente de certains titres. En Suisse aussi, le coût de cet impôt est important. Selon une étude de BAK Economics, une réforme du droit de timbre ainsi que du système de l’impôt anticipé pourrait augmenter le PIB suisse de 1,4 % sur une période de dix ans. Les auteurs de l’étude expliquent en outre qu’une telle réforme ferait plus que compenser à long terme les importantes pertes de recettes initiales de la Confédération.
Enfin, une taxe sur les transactions incite à regrouper en «volets» individuels des transactions qui sont aujourd’hui traitées individuellement. Cela permet de solder certaines créances et d’économiser des impôts. Il est également probable que les transactions se feraient davantage avec de la monnaie scripturale non réglementée (c’est-à-dire l’échange de passifs sur un bilan). Il en résulterait une croissance du secteur bancaire parallèle. Dans l’ensemble, le système financier risque de devenir plus instable avec une taxe sur les transactions. Des travaux de recherche suggèrent d’ailleurs que l’introduction d’une telle taxe en France a sapé le fonctionnement du marché.
Simple et facile, mais mauvais
Une taxe sur les transactions, telle que proposée autrefois dans l’initiative sur les micro-impôts, viole le principe de capacité contributive, conduit à des fusions d’entreprises inefficaces et peut facilement être contournée pour certaines transactions. Une telle taxe est donc non seulement injuste et source de distorsions, mais multiplierait les problèmes au fil du temps. Si l’on veut limiter les mesures visant à éviter cette taxe ainsi que les frictions économiques, il faudrait agrandir davantage la bureaucratie fiscale ainsi que les interventions fiscales globales dans la vie économique.
De manière générale, les taxes sur les transactions sont donc peut-être simples au premier abord, mais elles ne sont pas une bonne idée pour autant. Même une taxe sur les transactions plus restreinte, limitée au seul domaine financier, pose des problèmes, comme l’ont montré les expériences faites à l’étranger. Il est compréhensible que les politiques réfléchissent actuellement à la manière d’améliorer la situation financière de la Confédération. Mais au lieu d’introduire des taxes problématiques, il serait préférable d’exploiter le potentiel d’économies actuel. Ces prochains mois, Avenir Suisse montrera où se trouve ce potentiel dans une «série d’été».