En récoltant 100 000 signatures en l’espace de 18 mois, chaque citoyen suisse peut initier une votation populaire sur une modification de la Constitution fédérale. Si l’initiative populaire atteint le nombre de signatures requis dans le délai imparti, le Conseil fédéral, respectivement l’Assemblée fédérale en dernière instance (Conseil national et Conseil des États), a trois réactions possibles.

  1. Elle décide d’un contre-projet direct. Celui-ci contient une modification alternative, qui va dans le même sens, mais va moins loin que l’initiative. Cet objet sera voté en même temps que l’initiative.
  2. Elle décide de reprendre l’objet de l’initiative (généralement sous une forme assouplie) dans un projet de loi. Les initiants réagissent habituellement à un contre-projet assez satisfaisant par le retrait de leur initiative, car il reprend, au moins en partie, leurs revendications sans avoir à passer par une votation populaire. Il faut comprendre ici que leurs chances ne sont pas très grandes: au total, le taux d’acceptation des initiatives populaires qui figurait à 11,2 % dans ses jeunes années s’est élevé à environ 20 % aujourd’hui.
  3. Elle ne fait rien et laisse les citoyens voter sur l’initiative, mais elle leur recommande habituellement de la rejeter.

Les contre-projets, surtout les indirects, sont normalement vu par les comités d’initiative comme des cadeaux bienvenus. Les initiatives sont donc parfois lancées après avoir récolté de signatures largement au-dessus du nombre nécessaire ou clairement avant le délai de 18 mois, pour accroître la pression politique afin que le Parlement prenne position par un contre-projet.

Le nombre de signatures récoltées pour une initiative est-il donc un bon indice pour ses chances d’aboutir? Le graphique montre pour chaque initiative depuis 1891 (date à partir de laquelle, la révision partielle de la Constitution a été rendue possible) la part de «oui» et le nombre de signatures récoltées par mois (mesuré en % des votants), donc une sorte de taux de collecte:
Gegenvorschlaege_Volksinitiativen_fr_1000px_72dpi_rgb

Le coefficient de variations des points dans la dernière dimension (plus que le facteur 100) est énorme. C’est –à côté de l’effet susmentionné- afin d’expliquer que la limite des signatures a chuté dans le temps par rapport au nombre de votants. Le délai de 18 mois a été introduit seulement en 1978. Il est intéressant de constater qu’il a augmenté la durée moyenne de récolte des signatures plutôt que de la faire baisser –bien que ce délai ait été fixé en réaction à certaines récoltes de signatures dans les années 1970 qui se sont fait attendre pendant deux voire trois ans. Puisque les comités d’initiative s’orientaient désormais vers le délai de 18 mois, ils ont utilisé toute ou presque tout le temps autorisé. Cependant, bien qu’une récolte de signatures sur huit ait durée 18 mois ou plus, la fourchette moyenne se situe entre 6 et 9 mois.

La détentrice du record absolu en matière de soutien à une récolte de signatures reste l’initiative populaire de 1903, «Élection du Conseil national basée sur la population de nationalité suisse», qui a récolté 57 370 signatures (7,5 % de l’ensemble du corps électoral) en quelque 44 jours. Dans une période plus proche, c’est l’initiative «pour une Suisse sans nouveaux avions de combat», votée en 1993, qui détient le record avec 181 707 signatures (4 %) en 34 jours. Il est intéressant de noter que les deux initiatives ont été rejetées par une majorité claire (avions de combat) et même écrasante (élection au Conseil national). Il n’existe en règle générale qu’un faible lien entre le succès d’une récolte de signatures et l’acceptation d’une initiative. Jaronicki et al. (2013) ont cependant montré qu’il existait une corrélation positive, mais dont l’effet n’a que peu de signification en réalité –par exemple pour pronostiquer la probabilité d’acceptation en se basant sur le succès de la récolte de signatures :

  • sur l’ensemble de la période, on observe qu’un doublement du nombre de signatures par unité de temps amène une progression du «oui» de 1,5 % et que le nombre de signatures n’explique que 2 % de la variance des résultats de votations.
  • si l’on ne prend en compte que les votations populaires depuis 2001, on obtient 5,5 % de progression et la valeur explicative augmente à 5 %. Cela signifie que pour une valeur escomptée de «oui» de 50 %, 625 000 signatures en 18 mois – soit 100 000 en moins de trois mois – ou 250 000 en 7 mois seraient nécessaires. Un tel taux de collecte n’a été atteint qu’une fois durant cette période (Votation populaire du 4.3.2001: «pour des médicaments à moindre prix»)

Le Conseil fédéral et le Parlement seraient donc bien avisés de faire preuve d’un peu moins d’esprit de compromis et de prudence dans leur réaction face aux initiatives populaires. Comme on le voit, une récolte de signatures impressionnante ne signifie pas plus que cela pour les chances de réussite d’une initiative populaire.

Littérature:

Jaronicki, Katharina; Marti, Christian; Bütler, Monika (2013) Signature Collection in Direct Democracies: Lessons from the Swiss Initiative Process from 1891 to 2010. Saint-Gall: SEW Université de Saint-Gall