Sans aucune contrepartie apparente, les syndicats ont réussi à convaincre le Conseil fédéral, pourtant à majorité bourgeoise, d’introduire un régime spécial pour les chômeurs de longue durée âgés. Il s’agit d’une rente-pont d’environ 50 000 francs par an, versée par la Confédération aux chômeurs de 60 ans qui auraient épuisé leurs indemnités chômage. Aujourd’hui ces chômeurs se retrouvent à l’aide sociale avec un revenu garanti d’environ 30 000 francs. Cette décision constitue une rupture avec les principes libéraux du marché suisse du travail.
Les avantages prétendus de cette décision doivent être contrés par les faits. Le taux d’activité des Suisses en-dessus de 55 ans est l’un des plus élevés au monde aujourd’hui. Récemment, la barre des 75% a même été franchie. Depuis l’introduction progressive de la libre circulation des personnes avec l’UE/AELE en 2002, ce taux a augmenté de dix points de pourcentage. Il ne peut donc être question de travailleurs immigrés faisant obstacle à l’emploi des travailleurs indigènes plus âgés. De toute façon, le nombre de travailleurs étrangers qui ont immigré depuis 2002 est numériquement inférieur à celui des femmes qui sont entrées sur le marché du travail pendant la même période. Mais personne ne reproche sérieusement aux mères suisses d’avoir réduit les chances des hommes plus âgés sur le marché du travail.
Bien entendu, cela ne signifie pas pour autant que les travailleurs âgés en Suisse ne sont pas confrontés à des défis. Avec 63%, la part des demandeurs d’emploi âgés au chômage depuis plus d’un an en Suisse est en fait légèrement supérieure à la moyenne de l’OCDE. Toutefois, les personnes âgées étant moins souvent touchées par le chômage, le risque d’arriver en fin de droit et de finir à l’aide sociale est même légèrement inférieur pour les personnes âgées de 55 à 64 ans par rapport à la moyenne de l’ensemble des personnes actives occupées.
Le nombre élevé de départs à la retraite anticipée est également souvent cité comme un argument témoignant des faibles perspectives des travailleurs âgés. Un bon 60% des hommes de plus de 58 ans (mais seulement 30 % des femmes) invoquent la retraite anticipée comme raison pour renoncer à une activité rémunérée. Toutefois, ce sont plutôt les incitations à la retraite anticipée du deuxième pilier que le manque d’opportunités qui expliquent le taux élevé de préretraites. Des analyses récentes suggèrent que les taux de cotisation du deuxième pilier, qui augmentent avec l’âge, constituent effectivement un obstacle à la réintégration des travailleurs âgés. La Suisse est l’un des rares pays à prévoir une telle progression dépendant de l’âge. Les taux de conversion excessivement généreux encouragent également la retraite anticipée. La redistribution forcée des assurés actifs vers les retraités est estimée à environ 5,1 milliards de francs par an.
Compte tenu de la situation actuelle des travailleurs âgés sur le marché du travail, la décision du Conseil fédéral est contre-productive. En fin de compte, cela ouvre la possibilité pour certains employés de partir à la retraite à 58 ans, soit 7 ans avant l’âge légal. Après cela, comment un gouvernement pourra-t-il encore proposer de manière crédible un relèvement de l’âge de la retraite, ce qui serait en fait urgent au vu de l’évolution démographique ?
Avant de prendre une décision, il aurait été préférable de jeter un coup d’œil vers l’Allemagne. A partir du milieu des années 1970, la transition directe du chômage à la retraite y avait été facilitée à plusieurs reprises, avec des conséquences dramatiques pour l’emploi : le taux d’activité professionnelle des hommes allemands de plus de 60 ans passa de 68% en 1974 à 28% en 1995. Ce n’est que lorsque l’âge de la retraite anticipée des chômeurs de longue durée fut progressivement relevé de 60 à 65 ans en 1996 que le taux d’activité des plus de 60 ans augmenta à nouveau. Depuis le début du millénaire, le marché du travail allemand s’est développée de manière encore plus dynamique qu’en Suisse, le taux d’occupation des hommes passant de 28% à 65%.
Aujourd’hui, les estimations des coûts attendus des nouvelles prestations de rente-pont pour les chômeurs âgés sont modestes. Dans le communiqué de presse du Conseil fédéral, ils étaient estimés à «seulement» 95 millions par an. Quelques jours plus tard déjà, les estimations étaient relevées à 400 millions. Gageons qu’au final les coûts seront encore bien plus importants, car il faut s’attendre à des changements dans le comportement des actifs. L’exemple allemand le montre : qui ouvre de nouvelles voies vers la retraite doit partir du principe qu’elles seront empruntées.
Au lieu d’ouvrir l’armoire à poisons de la politique du marché du travail, le Conseil fédéral aurait mieux fait d’aller de l’avant sur l’accord-cadre avec l’UE. L’accord garantirait à long terme la participation de la Suisse au deuxième plus grand marché intérieur du monde – et donc aussi ses chances de croissance. Cela a toujours été la meilleure garantie d’emploi.