En sa qualité de propriétaire de la Poste, la Confédération définit pour cette dernière des objectifs stratégiques pour une période de quatre ans. Les objectifs actuels s’appliquent à la période 2017 – 2020 et peuvent se résumer ainsi : en plus d’assurer un service universel, la Poste doit fournir dans ses secteurs d’activité principaux (communication et logistique, services financiers et trafic voyageurs) des produits et des prestations de qualité et innovants, aussi bien sous forme physique qu’électronique. Dans ce cadre, elle doit également générer une croissance rentable et renforcer la rentabilité de l’entreprise en améliorant son efficacité. Dans les limites de ses possibilités financières et de ses ressources en personnel, la Poste peut conclure des accords de coopérations en Suisse et à l’étranger.
Sur le plan financier, la Confédération attend de la Poste qu’elle garantisse et augmente la valeur de l’entreprise et, en outre, qu’elle réalise un rendement conforme à la branche dans tous ses secteurs d’activités. Les bénéfices réalisés doivent servir à constituer des fonds propres conformes aux règles bancaires, particulièrement pour Postfinance, et à la distribution de dividendes à la Confédération. La Poste doit de plus mener une politique du personnel moderne et sociale. Font partie de cette politique des conditions d’engagement attractives et concurrentielles et favorisant la conciliation entre vie familiale et professionnelle.
Des nuages noirs à l’horizon de la Poste
Mais dans quelle mesure les objectifs fixés par le Conseil fédéral sont-ils réalistes ? En principe, la Poste est confrontée à des défis sur plusieurs fronts, ce qui soulève des doutes quant à la réalisation des objectifs. Dans le domaine de l’envoi de lettres, par exemple, la Poste est confrontée à une baisse annuelle des volumes allant jusqu’à 5% en raison de l’utilisation accrue des moyens communications électroniques (e-mail, SMS, chats, services de messagerie instantanée, etc.) (voir figure, échelle de gauche). Depuis 2010 seulement, le volume de lettres en Suisse a déjà chuté de 20% à cause de cette substitution. En outre, le volume de journaux en abonnement et des envois à l’important ne cesse de diminuer. Tout cela a des conséquences négatives sur le chiffre d’affaires de la Poste.
A l’inverse du volume de lettres, l’envoi de colis a connu une croissance constante ces dernières années (voir graphique, échelle de droite), ce qui s’explique principalement par l’essor du commerce en ligne, mais la pression sur les marges est forte dans un marché du colis entièrement libéralisé. Cela se répercute sur le résultat d’exploitation, qui ne progresse pas. Il serait donc irréaliste d’espérer que la baisse des bénéfices sur le marché des lettres puisse être compensée par l’évolution positive des volumes sur le marché des colis. De plus, le réseau d’offices de poste a toujours fait des pertes, qui se chiffrent actuellement en centaines de millions. Et cette situation ne changera pas : tant que la Poste ne sera pas en mesure de réformer en profondeur son réseau d’offices de poste sur la base de sa mission de service universel, on ne peut s’attendre à une amélioration décisive de la situation financière dans ce domaine.
Jusqu’à ce jour, Postfinance pouvait être qualifiée de véritable «vache à lait» de la Poste, avec une contribution de près de 550 millions de francs au résultat du groupe. Considérant le contexte persistant de taux bas, Postfinance est toutefois de plus en plus confrontée à l’interdiction politiquement imposée d’octroyer des prêts et des hypothèques : entre 2017 et 2018, le résultat d’exploitation s’est effondré de près de 300 millions de francs pour s’établir à un peu plus de 200 millions de francs. Et même chez Postfinance, compte tenu du cadre juridique actuel, une amélioration de la situation dans un avenir proche n’est pas envisageable. Les cars postaux n’appartiennent pas non plus à la catégorie «vaches à lait» et sont, comme on le sait depuis le scandale de Carpostal, soumis à une interdiction de réaliser des bénéfices.
Chronique d’une perte annoncée
En fin de compte, il semble que ce ne soit qu’une question de temps avant que le groupe Poste ne soit plus en mesure de financer par ses propres moyens le service universel qu’il fournit actuellement et qui représente 350-400 millions de francs par an, voire qu’il ne passe en zone déficitaire. Dans ce contexte, il est difficile de comprendre comment le Conseil fédéral, dans sa stratégie d’actionnaire adoptée en 2016, peut exiger de la Poste qu’elle garantisse durablement et augmente la valeur de l’entreprise et qu’elle réalise un rendement conforme à la branche dans tous ses secteurs d’activité. Il serait souhaitable que le Conseil fédéral revoie d’un œil critique le rôle qu’il a joué jusqu’ici en tant que propriétaire de la Poste et qu’il le développe. En effet, sans réformes profondes, il est à prévoir que la Poste ne puisse pas atteindre ces objectifs.
Dans l’immédiat, la stratégie d’actionnaire de la Confédération doit être adaptée pour tenir compte des évolutions réelles du marché. Les objectifs contradictoires doivent être éliminés. De plus, des objectifs de transformation clairs doivent être formulés.
Dans l’étude «Le service postal universel à l’ère du numérique», Avenir Suisse a montré en détail à quoi pourrait ressembler un programme de réforme de plus grande envergure pour la Poste, en abordant les problèmes (fondamentaux) et les défis mentionnés dans cet article.