Un travail de pionnier. Voilà ce qu’a réalisé le Biennois Jérôme Cosandey en menant une étude sur l’organisation et le financement des soins aux personnes âgées en Suisse. Si la thématique est brûlante, les données chiffrées faisaient cruellement défaut dans la jungle du fédéralisme helvétique. Pour le compte d’Avenir Suisse, Jérôme Cosandey a donc pris son bâton de pèlerin, comme il le dit, et est parti à la rencontre de tous les responsables des soins aux seniors des 26 cantons. Il a écumé les routes et les offices cantonaux durant deux ans avant de publier récemment cette étude intitulée «De nouvelles mesures pour les soins aux personnes âgées». Ce qu’il a trouvé ? Aucun canton ne procède de la même manière. Pour tenter de jeter une base commune, il a donc analysé les offres cantonales en soins stationnaires (EMS) et ambulatoires (soins à domicile), les coûts de la prise en charge et son financement. Ses conclusions ? «En optimisant les coûts, on peut économiser 1,9 milliard de francs par an.»

Marjorie Spart: Jérôme Cosandey, pourquoi vous être penché sur cette thématique ?

Le vieillissement de la population est un fait. En 2035, le nombre de personnes de plus de 80 ans augmentera de plus de 70% par rapport à la population active. Et nous aurons besoin de 17 000 postes supplémentaires, dès 2020 déjà, dans le domaine des soins aux personnes âgées. Ces deux facteurs auront des coûts qu’il convient d’anticiper.

Ces coûts, quels sont-ils ?

En 2014, ils se montaient à 11 milliards de francs. Il faut savoir qu’une personne sur trois de plus de 85 ans nécessite des soins. Plus de la moitié d’entre elles vivent en EMS. Et ce sont justement les homes qui impliquent les dépenses les plus lourdes: environ 85% des frais totaux. Les 15% restants sont engendrés par les services de soins à domicile (SASD). Selon les projections de l’Observatoire de la santé, les coûts totaux pourraient atteindre entre 16 et 20 milliards de francs en 2030.

Malgré ces projections pessimistes, vous concluez dans votre étude qu’il est possible d’économiser 1,9 milliard par an. Comment ?

Il y a beaucoup de disparités dans le domaine des soins: les cantons n’ont pas les mêmes exigences en termes de nombre de lits en EMS et de personnel soignant. Et les salaires des soignants varient fortement selon les lieux et les conventions collectives de travail signées. De manière générale, les cantons alémaniques ont davantage de places en EMS que la Suisse romande qui privilégie, elle, les soins à domicile.

Pour réaliser cette économie, il faudrait que toutes les organisations de soins aux personnes âgées travaillent dans tous les cantons au moins aussi efficacement que la moyenne suisse. Grâce à davantage de transparence dans les coûts entre les cantons, ceux qui s’en sortent mieux peuvent donner l’exemple à ceux qui vont moins bien.

Comment expliquez-vous ces coûts élevés ?

D’un côté, près de 30% des résidents en EMS ont besoin de moins de 60 minutes de soins par jour et pourraient potentiellement être soignés à domicile. D’un autre côté, si des seniors vivant chez eux nécessitent plus d’une heure de soins à domiciles, il serait financièrement plus avantageux qu’ils intègrent un home. En fait, de nombreux seniors auraient idéalement besoin d’être accueillis dans une structure intermédiaire, comme un foyer d’accueil de jour ou un appartement protégé, aménagé pour le 3e âge. Ce genre de structures se développe heureusement de plus en plus.

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Grâce à davantage de transparence dans les coûts des soins aux personnes âgées entre les cantons, ceux qui s’en sortent mieux peuvent donner l’exemple à ceux qui vont moins bien. (image Fotolia)

Dans votre étude, vous constater aussi que le personnel soignant des SASD est mieux payé qu’en EMS. Etonnant ?

Cela s’explique par le fait qu’il faut engager une personne capable d’effectuer les tâches qui demandent le plus de qualifications, comme des injections ou des soins infirmiers. Malheureusement, ces personnes très qualifiées sont aussi astreintes à prodiguer des soins pour lesquels elles sont trop formées, comme des soins corporels ou de l’aide à l’habillement.

Dans le domaine des SASD, on pourrait réduire les coûts en faisant mieux jouer la concurrence, en lançant des appels d’offres, comme le font déjà certaines communes soleuroises. On garantirait des prix qui correspondent au marché. En plus, il serait judicieux d’introduire un système de tarification unique, une sorte de Tarmed pour les soins, qui serait valable pour tous les homes et les services à domicile. On atteindrait ainsi plus de transparence et on encouragerait la concurrence.

Quelles pistes concrètes suggérez- vous pour gagner en efficacité ?

Il faut améliorer le mélange d’offres ambulatoires, semi-stationnaires et stationnaires. Il convient aussi d’optimiser la gestion du personnel, de sa qualification et des tâches auxquelles il est astreint. La transparence apportée par cette étude devrait offrir des pistes aux cantons pour être plus efficaces dans ce domaine.

Vous proposez aussi une nouvelle forme de financement des soins.

Oui, nous plaidons pour l’instauration d’un capital-soin obligatoire et individuel comme solution à long terme. Cela correspond à un 4e pilier auquel on devrait souscrire à partir de 55 ans. L’épargne accumulée servirait aux soins et à la prise en charge. Et en cas de décès, elle serait léguée aux proches. Un financement solidaire est prévu pour ceux qui ne pourraient pas cotiser.

Cet entretien réalisé par Marjorie Spart est paru dans Le Journal du Jura du 29.06.2016.