Le débat public fait régulièrement référencce à diverses «pénuries» auxquelles la politique est priée de remédier: pour combler un manque d’employés qualifiés, on pourrait par exemple faire davantage appel à l’immigration. L’approche est toutefois incompatible avec un raisonnement économique. L’idée de pénurie suggère un besoin invariable et immuable des biens en question: comme l’individu aimerait davantage de presque tout, il est absurde de parler de «besoin» en termes absolus. La «demande» ne peut s’exprimer qu’en termes relatifs. Personne n’imaginerait qu’on puisse déplorer une «pénurie de Rolex» ou un «manque de Ferrari», simplement parce que beaucoup peineraient à satisfaire leur désir de luxe.

Sous l’angle économique, la pénurie traduit un excès de demande. La hausse des prix qui en résulte envoie un signal essentiel. Si les salaires augmentent, les jeunes sont incités à privilégier certains métiers. Sous l’angle économique, un excès de demande ne crée un problème que si l’offre est peu élastique ou lorsque l’ajustement du prix se fait trop attendre. La durée de formation d’ingénieurs étant fort longue, l’offre est peu élastique et la hausse du prix induite souvent considérable. Les structures du marché peuvent en être modifiées et provoquer une délocalisation de l’emploi à l’étranger.

Sur les marchés concernés ou lorsque l’offre est définie par la politique (par exemple l’éducation), l’indication précoce d’un excès de demande peut être un atout – par exemple en raison du départ à la retraite de classes d’âge nombreuses. En pratique, le débat sur une éventuelle pénurie est souvent lancé par les représentants d’intérêts particuliers en quête d’avantages pour leur branche. Parfois ces pénuries sont même le fruit douteux d’une intervention de l’État, à travers des réglementations faussant le signal des prix. L’approche économique nécessiterait davantage de courage sur ce sujet. Existe-t-il une pénurie de ce côté-là?