L’accélération de la transformation numérique induite par les mesures de confinement a mis en relief le retard considérable pris dans ce domaine par les administrations publiques. Par contraste aux entreprises et à la population, qui ont su pour la plupart rapidement s’adapter à une situation changeante en numérisant leurs activités, les autorités publiques se sont plutôt illustrées par des ratés à répétition, à l’instar du projet de carnet de vaccination numérique, confié à la fondation mesvaccins.

La cyberadministration, ce n’est pas uniquement la mise en ligne de formulaires officiels, mais un changement de paradigme, qui impose de penser l’ensemble des interactions de l’Etat avec ses citoyens à travers le prisme numérique. A cet égard, l’approche adoptée par la Confédération pour la signature électronique a de quoi inquiéter. L’administration a identifié 1700 dispositions écrites dans la législation suisse requérant actuellement une signature analogue, qu’elle examine actuellement «au cas par cas s’il existe d’éventuels obstacles à la numérisation […] et si, le cas échéant, une modification de loi ou d’ordonnance s’impose» (sic).

Mourir en beauté ou: la Suisse est à la traîne en matière de cyberadministration par rapport au reste de l’Europe occidentale. (Steve Harvey, Unsplash)

Loin d’être anecdotique, cet exemple est révélateur d’un retard important dans la transformation numérique. Habituée à caracoler en tête des classements internationaux d’innovation, la Suisse dégringole à un niveau préoccupant lorsqu’il s’agit de cyberadministration, au point d’être bonne dernière en Europe occidentale (16e sur 16). C’est en particulier dans les domaines régaliens – comme la justice ou la santé – que ce déficit est important. La protection des données n’excuse pas tout, puisque d’autres branches tout aussi sensibles connaissent un degré de numérisation bien plus avancé, à l’image du secteur bancaire.

Moins de plans d’action, juste de l’action

La Suisse dispose d’une agence publique de mise en œuvre de la cyberadministration depuis 2008, qui regroupe la Confédération, les cantons ainsi que les communes. Treize ans après, force est de constater que son bilan reste maigre, à l’exception des déclarations fiscales et de quelques succès d’estime, comme eDéménagement. Pour les services existants, un déficit d’information important est constaté, au point où près de la moitié de la population suisse déclarait en 2020 n’utiliser aucun service électronique des autorités, faute de les connaître.

Au niveau politique, les stratégies et plans d’actions se succèdent. On sait ce qui doit être fait, reste simplement à le faire : services communaux entièrement numérisés, dossier électronique du patient et ordonnances numériques dans le domaine de la santé, vote et récolte de signatures électroniques dans le domaine des droits civiques, ou encore numérisation de tous les registres gérés par l’Etat, comme le registre foncier, pour libérer le plein potentiel de la transformation numérique.

Enfin, la relance rapide d’un nouveau projet d’identité numérique (e-ID) par le Conseil fédéral en mai dernier doit être saluée, au vu de l’important effet de levier que cet outil peut avoir pour la transformation numérique du pays. Dotée d’une des meilleures infrastructures au monde et d’une population aux compétences numériques bien développées en comparaison internationale, la Suisse a en effet toutes les cartes en main pour rattraper son retard avec maestria.