Alain Berset a dû se frotter les yeux en découvrant les propositions du Conseil des États concernant la réforme «Prévoyance vieillesse 2020». En effet, bien des éléments de son projet sont passés à la trappe, comme l’ajustement des rentes de veuve ou le frein à l’endettement. Mais la plus grande surprise fut sans doute l’extension proposée de l’AVS, entraînant des dépenses supplémentaires de 1,4 milliard de francs par année.
Compensation superflue
1,4 milliard de francs, ce n’est pas une bagatelle. Cela correspond aux économies réalisées en relevant l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans. Pour faire passer la pilule, on relativise cette somme annuelle en l’exprimant par personne et en la divisant par douze: 70 francs par mois pour les nouveaux retraités célibataires (840 Fr. par an), respectivement 226 francs pour les couples (2712 Fr. par an). Les rentes courantes, quant à elles, ne seront pas ajustées.
Cette extension de l’AVS est souvent présentée comme une compensation de la baisse du taux de conversion dans le 2e pilier. Cette affirmation doit être clairement réfutée. Le projet de loi du Conseil des États prévoit une solution transitoire jusqu’en 2033. Ainsi, toute personne âgée aujourd’hui de 47 ans et plus ne subira aucune réduction de rente dans le 2e pilier, grâce à un financement collectif porté par tous les actifs. Pourtant, l’augmentation de l’AVS visée prendra effet non pas en 2033 – à l’expiration de la solution transitoire – mais dès l’entrée en vigueur de la réforme. Pourquoi alors augmenter l’AVS, si aucune compensation n’est nécessaire ?
Perte de vue d’ensemble
L’idée de traiter conjointement le 1er et le 2e pilier a reçu les louanges de tous les partis. Pourtant, lorsque l’on parle du financement de cette extension de l’AVS, cette vision globale semble aussitôt oubliée. On nous explique que cette hausse des rentes ne coûte «que» 0,3% de cotisations salariales. Si cela semble trop élevé, on divise par deux: 0,15% pour l’employeur, autant pour l’employé: «on peut se le permettre». C’est un peu comme si au restaurant, on se disputait uniquement sur le prix du dessert en oubliant de compter les plats et les boissons dans l’addition. On refuse de voir que le maintien du niveau des rentes à lui-seul coûtera déjà près de 5,3 milliards de francs par an, financé par 1% de TVA et 0,4% de cotisations salariales supplémentaires. Dans un contexte de franc fort, le maintien des rentes à leur niveau actuel sera déjà un vrai défi pour notre économie.
Aussi, l’extension de l’AVS proposée surprend. On se croirait au pays des merveilles: l’augmentation de la TVA prévue pour assurer le maintien des rentes n’aurait visiblement pas d’impact sur la consommation. De même, augmenter les cotisations salariales ne renchérirait pas les coûts de production. Du coup, la demande resterait constante et le taux de chômage stable. Alors pourquoi se gêner, augmentons les rentes AVS des nouveaux retraités et relevons encore plus les cotisations salariales ?! Cette approche démagogique ne manque pas de cynisme.
Quelles pistes suivre ?
Si l’idée d’une «tournée générale» à la charge des jeunes relève du pays des merveilles, le Conseil national qui reprendra le dossier en 2016 sera pour sa part confronté à une vraie réalité politique. Pour trouver une majorité devant le peuple, il devra proposer une réforme qui ne contient pas uniquement des mesures d’austérité, mais aussi des éléments positifs qui répondent à l’évolution de notre société. Un soutien ciblé envers les plus démunis à l’âge de la retraite, par exemple, en ajustant les prestations complémentaires, serait l’approche la plus fidèle à la systématique des trois piliers. A défaut, un assouplissement des conditions de préretraite pour les travailleurs entrés tôt sur le marché du travail, comme le proposait le Conseil fédéral, pourrait être étudié. Dans le 2e pilier, la déduction de coordination pourrait être abaissée encore plus, voire abolie, pour mieux couvrir les travailleurs et surtout les travailleuses à temps partiel. Un lissage des bonifications de vieillesse afin de réduire les différences de cotisations salariales des seniors faciliterait leur mobilité sur le marché du travail. Certes, ces mesures ont elles aussi leurs coûts. Mais si déjà il faut passer à la caisse pour trouver des majorités, alors autant le faire de façon ciblée et intelligente, et par là-même moderniser notre système de prévoyance pour mieux répondre aux nouvelles réalités du monde du travail.
Cet article est paru le 13 novembre 2015 dans «Prévoyance Professionnelle Suisse».