Jérôme Cosandey est Directeur romand et responsable Etat social pérenne à Avenir Suisse, un think-tank qui «développe des idées libérales pour l’avenir de la Suisse, orientées vers l’économie de marché». Jeudi, lorsque nous avons convenu de l’interview, il avait dit sans ambiguïté : «A mon sens, «après» la réforme, ce sera «avant» la réforme». Cela signifie-t-il qu’après tout… peu de choses vont changer ? «La réforme AVS 21, a déclaré Jérôme Cosandey à «laRegione» hier, alors que les jeux n’étaient pas encore faits, offre au premier pilier un financement sûr pour quatre années supplémentaires, par rapport au statu quo. Mais en 2029, le résultat d’exploitation de l’AVS sera à nouveau déficitaire. Dans les années à venir, nous devrons donc réfléchir à une nouvelle réforme». Le Parlement a d’ailleurs déjà chargé le Conseil fédéral de le faire.

M. Cosandey, pourquoi pensez-vous qu’il est important de voter oui à la réforme AVS 21 ?

Il n’y a pas que l’aspect financier qui compte, ou l’augmentation de l’âge de la retraite pour les femmes. L’AVS 21, tout comme la réforme du deuxième pilier, nous permet de faire un pas vers l’adaptation de notre système de sécurité sociale à l’évolution de la société. Nos assurances sociales reflètent encore le monde tel qu’il était dans les années 1980 : une femme qui avait un enfant, quittait son emploi pour s’en occuper, puis, peut-être après quelques années, reprenait son travail à temps partiel, beaucoup n’avaient qu’un seul employeur, etc. Ces évolutions sont mal prises en compte dans le deuxième pilier.

Restons-en à l’AVS. Qu’est-ce qui est bon dans cette réforme ?

En 1948, lors de l’introduction de l’AVS, les femmes et les hommes prenaient leur retraite à 65 ans. Nous avons parcouru un long chemin pour y revenir. L’égalité dans ce domaine est importante. Aussi parce que les femmes, qui vivent en moyenne en Suisse trois ans de plus que les hommes, continueront à percevoir une rente de l’AVS plus longtemps.

Augmentation de l’âge de la retraite pour tous à 66 ans, 13e rente AVS, utilisation des bénéfices de la BNS pour renflouer l’AVS, etc. : les propositions pour réformer l’AVS ne manquent pas. Laquelle vous semble la plus judicieuse ?

Jusqu’à présent, le débat sur l’AVS s’est concentré sur le clivage entre les hommes et les femmes. Après avoir obtenu l’égalisation de l’âge de la retraite, il pourrait être plus facile – dans la perspective d’une prochaine réforme – de parler de solidarité entre actifs et retraités, et donc aussi d’autres modèles de retraite. Je l’espère, en tout cas. Par exemple : pourquoi ne pas évoluer vers un modèle dans lequel ce serait le nombre d’années pendant lesquelles un travailleur a payé des cotisations qui compte ? Cela permettrait de tenir compte, entre autres, des différences dans la durée des études. Ou encore : en Suisse, l’un des pays où l’espérance de vie est la plus élevée, on prend sa retraite à 65 ans ; en revanche, dans la plupart des pays de l’OCDE, on a déjà relevé l’âge de la retraite au-delà de ce seuil, ou la décision de le faire a été prise. Il me semble normal que si l’on vit plus longtemps, on travaille aussi plus longtemps. Ensuite, sur les modalités concrètes, on peut discuter.

La solidarité des baby-boomers avec la jeune génération est nécessaire. (Krists Luhaers, Unsplash)

La réforme AVS 21 introduit le principe de flexibilisation des rentes, un aspect qui est resté en arrière-plan. Une retraite «à la carte», est-ce le futur ?

Ce weekend, nous avons fait une double avancée. Jusqu’à présent, on ne pouvait décider qu’une fois par an de prendre sa retraite, alors qu’à l’avenir, on pourra le faire chaque mois. Ceux qui travaillent au-delà de 65 ans pourront améliorer leur rente, ce qui n’est pas le cas actuellement. Le mécanisme envisagé par la réforme AVS 21 est très important : il permettra de mieux prendre en compte les besoins spécifiques de chacun.

Tout le monde se penche maintenant sur la réforme du deuxième pilier. Le dossier prend du retard au Parlement. Quelle devrait être la priorité, à votre avis ?

Tout le monde est d’accord sur un point : le taux de conversion (taux auquel est multiplié l’avoir de vieillesse à la retraite et qui détermine le montant de la rente LPP) doit être abaissé. Cependant, une chose est souvent oubliée dans le débat politique : 85 % des caisses de pension en Suisse offrent déjà des prestations au-delà de la partie obligatoire, ayant ainsi dans les faits anticipé les réformes nécessaires. C’est pourquoi il est important que les compensations que j’ai mentionnées soient ciblées, c’est-à-dire qu’elles ne bénéficient qu’à celles et ceux qui seraient réellement touchés. Il faut aussi améliorer la protection des personnes qui travaillent à temps partiel et dans les secteurs à bas salaires. Dans le projet en discussion au Parlement, en revanche, on prévoit qu’une compensation serait versée à tout le monde, même aux personnes qui ne subiraient pas de pertes à cause de la réforme. Cela couterait trop cher. Et les travailleurs, surtout les plus jeunes, devraient passer à la caisse.

Cette interview est parue dans le journal LaRegione le 26 septembre 2022 (article en italien).