Aujourd’hui, samedi 28 septembre 2019, la manifestation nationale pour le climat aura lieu à Berne. A l’occasion de ces événements, nous publions en primeur le chapitre sur la politique climatique de la Suisse de notre publication «Et si… ? 13 développements possibles et leurs conséquences pour la Suisse», qui sortira le 30 octobre 2019. Le livre s’est fixé pour objectif de montrer les bouleversements à venir et la manière de contrer les conséquences qui y sont associées dans un cadre libéral.
Politique nationale pour le changement climatique global
La science l’a montré sans ambiguïté : le changement climatique existe. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a été créé en 1988 pour faire le point sur la recherche scientifique concernant le changement climatique et créer une base de décision pour l’arène politique.
En 2014, le Giec avait produit cinq rapports à ce sujet. En particulier, le cinquième rapport d’évaluation indiquait clairement que le réchauffement du système climatique était un fait avéré. Le Giec a également conclu qu’il était fort probable que l’influence anthropogénique soit la cause principale du réchauffement climatique observé depuis les années 1950.
Les résultats scientifiques ont été suivis d’actions politiques, quoiqu’avec hésitation. Fin 2015, la 21ème Conférence des Nations Unies sur le climat s’est tenue à Paris, où l’accord succédant au Protocole de Kyoto a été adopté. Pour la première fois, tous les Etats (pays industrialisés et pays en développement) se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et ont fixé une limite de réchauffement en dessous de deux degrés (1,5 degré si possible). L’accord a été signé par 195 pays et ratifié par 185 (état fin 2018).
La Suisse a ratifié l’accord à l’automne 2017 et s’est engagée à atteindre un objectif de réduction de 50 % d’ici 2030 par rapport à 1990, des réductions d’émissions étant également prévues à l’étranger pour réaliser cet objectif. D’ici 2050, la Suisse ne devrait pas émettre plus de gaz à effet de serre que ne peuvent en absorber les puits naturels et les technologies d’absorption (Bundesrat 2019). Néanmoins, à la suite du renforcement récent du mouvement climatique, les revendications se font de plus en plus extrêmes. La dimension mondiale du problème, en particulier, semble passer au second plan.
Scénario
Bien que le mouvement pour le climat soit monté en puissance, la décision a surpris de nombreux observateurs. En 2021, 58 % de la population se sont prononcé en faveur d’une initiative populaire visant à mettre en œuvre les objectifs climatiques de Paris exclusivement au niveau national d’ici 2030 et à porter l’objectif global de réduction de 70-85 % à 100 % en 2050 par rapport à 1990 – et ceci uniquement grâce à des mesures domestiques. L’opinion selon laquelle les réductions d’émissions à l’étranger ne devraient pas jouer un rôle dans la politique climatique suisse a donc prévalu. Le Conseil fédéral a pris les devants et a fait de la neutralité climatique de la Suisse d’ici 2050 son objectif de politique environnementale (Bundesrat 2019).
Avant le vote, la mise en œuvre partielle des objectifs climatiques à l’étranger a été qualifiée de «commerce des indulgences» moderne, même s’il est bien connu que le coût moyen d’économie d’une tonne de CO2 dans le pays est environ dix fois supérieur à celui de l’étranger. D’un point de vue technique, il a également été argumenté que l’expérience du Protocole de Kyoto avait montré que les projets étrangers avaient régulièrement des effets d’aubaine, une double comptabilisation et l’attribution de crédits pour des réductions fictives. Le fait que des progrès clairs ont été réalisés dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat – en particulier lors de la COP26 à Londres – en termes de transparence et de règles comptables a largement été négligé.
Une politique climatique verte et de gauche grâce aux milieux commerciaux
Le nouvel article constitutionnel est donc sur le point d’être mis en œuvre. Les cercles libéraux mettent en garde contre une exécution littérale – argumentant en particulier que réduire les émissions de CO2 uniquement au niveau national est disproportionnément coûteux et économiquement très inefficace. Mais la résistance s’affaiblit rapidement. Un changement net s’opère lorsque l’opinion apprend que de généreuses caisses de subventions – dont l’industrie nationale pourrait bénéficier – seront créées pour mettre en œuvre les objectifs climatiques. Soudain, des slogans comme «L’argent reste ici» ou «Emplois suisses propres» font leur apparition.
Dans un effort commun, les parlementaires roses-verts et bourgeois proches de l’artisanat et du commerce s’unissent pour former une coalition majoritaire pour le climat, qui permet au parlement d’accepter une expansion massive de la taxe sur le CO2. Il s’agit notamment d’augmenter progressivement la taxe sur les carburants, qui passera de 96 à 240 francs par tonne d’émissions de CO2 entre 2022 et 2030, pour un chiffre d’affaires annuel pouvant atteindre trois milliards de francs (Bafu 2019). Alors qu’auparavant, la majeure partie des recettes était redistribuée à la population, ces dernières sont aujourd’hui entièrement reversées au nouveau fonds pour le climat «Les Suisses sauvent le climat», ou SSC en abrégé.
En deuxième lieu, afin d’augmenter les ressources d’investissement du fonds, il est décidé de porter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 10 % à partir de 2023, ce qui générera près de sept milliards de francs. Au cours du débat parlementaire, les partisans du fonds ont déclaré à maintes reprises que ce dernier avait également pour but de lutter contre les excès malsains de notre société de consommation. Certains vont même jusqu’à dénoncer le système «capitaliste et d’exploitation» qui est à l’origine de la crise climatique – c’est pour cette raison qu’il est juste d’augmenter le prix de la consommation.
Cela signifie que le SSC recevra près de dix milliards de francs par an, ce qui permet de multiplier par vingt les ressources financières des programmes précédents pour accroître l’efficacité énergétique des bâtiments et des entreprises. Les fonds restants seront versés au fonds de technologie pour promouvoir la recherche des hautes écoles suisses dans le domaine des énergies renouvelables et du stockage du CO2. De nombreux politiciens soulignent que la Suisse doit atteindre ses objectifs climatiques non seulement au niveau national, mais aussi, si possible, grâce à des technologies helvétiques. Cela augmenterait la valeur ajoutée nationale et rendrait la Suisse indépendante de la «triche technologique» étrangère. Le scandale du diesel de 2017-2018, lorsque les constructeurs automobiles allemands ont tenté de manipuler les valeurs d’émissions de gaz d’échappement, est souvent cité comme un motif de défiance.
La troisième étape, toujours sous la pression continue de la rue, consiste en l’introduction d’une taxe climatique sur les billets d’avion à partir de 2024, l’interdiction des vols intérieurs (le dernier vol ZRH-GVA devrait revenir via Paris) et une taxe annuelle fixe pour les voitures privées d’un poids total supérieur à 1,5 tonne (appelé règlement SUV). En outre, l’utilisation de véhicules diesel sur le Plateau est interdite, à l’exception des véhicules agricoles et des véhicules de chantier. Une exception est faite pour les régions de montagne afin de ne pas mettre en danger l’approvisionnement des villages éloignés en altitude.
Renforcement des mesures de politique climatique à partir de 2026
Les entreprises suisses de cleantech sont florissantes grâce à la protection frontalière des technologies correspondantes et les techniciens en charge des travaux d’installation suisses sont à peine en mesure de suivre le montage des installations éoliennes et solaires en Suisse. Tout va très bien, Madame la Marquise – du moins jusqu’à ce soir de février 2025, lorsque les émissions annuelles de CO2 de la Suisse sont annoncées comme d’habitude lors du gala climatique annuel de la SSR. La présidente du SSC informe la population que les économies n’ont pas été aussi élevées que prévu. La discussion s’emballe : que faire ?
La mise en œuvre de la mesure d’urgence suivante est décidée au niveau politique le 1er janvier 2026 : une taxe sur le CO2 sur les carburants de deux francs par litre. Il n’est possible d’acheter de l’essence qu’en Suisse. Les véhicules diesel sont désormais interdits dans tout le pays, et un fonds de compensation (financière) est créé pour les régions périphériques. Des marqueurs sont ajoutés pour empêcher le ravitaillement à l’étranger. Toute personne qui utilise de l’essence sans marqueurs en Suisse sera sanctionnée par un retrait temporaire de son permis de conduire. Les recettes de la nouvelle taxe vont au SSC et sont affectées à la réduction du prix des véhicules électriques. Au cours des premières années, les recettes fiscales s’élèvent à environ six milliards de francs, mais diminuent rapidement en raison de l’effet de substitution.
Pour 2027, il est en outre convenu de réduire non seulement les émissions nationales mais également les émissions étrangères de CO2 causées par la Suisse (par exemple la consommation domestique de produits fabriqués à l’étranger). Des taxes à l’importation sur les produits étrangers, classées en fonction de leur teneur en CO2 dans la production (ce qu’on appelle le «CO2 gris»), sont introduites – en toute conscience qu’une telle taxe sur le CO2 n’est pas conforme aux règles de l’OMC. Pour la première fois, il y a aussi une courte majorité politique qui souhaite augmenter les engagements de l’agriculture en matière de climat.
La part de l’agriculture dans les émissions de gaz à effet de serre de la Suisse est passée à plus de 20 % suite aux efforts de réduction dans d’autres domaines. Sur les plus de 371 millions de francs que coûtent les émissions de gaz à effet de serre liées à l’agriculture (chiffre tiré d’une ancienne étude d’Avenir Suisse, voir Dümmler et al. 2018), 150 millions de francs doivent être économisés par la réduction du cheptel. A partir de 2029, la consommation de viande sera rendue plus chère avec une taxe climatique de 8,40 francs par kilogramme, mais les produits laitiers seront également soumis à une taxe d’un franc par litre de lait cru. Les étiquettes de prix pour la charcuterie et les produits laitiers doivent indiquer la taxe séparément. Le produit de la vente est versé à l’Union suisse des paysans, qui indemnise généreusement les agriculteurs concernés. Afin de protéger le climat et en particulier la production alimentaire domestique, désormais plus chère, les droits de douane sur les produits agricoles importés sont considérablement augmentés et redirigés vers le fonds SSC. Les contrôles aux frontières sont également renforcés pour empêcher la contrebande de denrées alimentaires en provenance de l’étranger.
La possibilité de réglementer le développement de la population pour des raisons écologiques fait également l’objet de débats parlementaires animés. Quelques voix s’élèvent pour demander, à l’instar de la politique chinoise de l’enfant unique, que les femmes ne donnent pas naissance à plus d’un enfant, faute de quoi la mère et le père devraient s’attendre à une grave pénalité financière. Mais même la majorité de ceux qui dénoncent ouvertement la consommation ne veut pas aller aussi loin. Eux aussi accordent plus de poids à la liberté de décision des parents.
Au début des années 2030, avec les paquets de mesures susmentionnés, la Suisse s’oriente vers une voie qui rend la réalisation de l’ambitieux «objectif zéro» d’ici 2050 raisonnablement réaliste. Dans le même temps, les coûts d’une politique climatique purement nationale sont de plus en plus évidents : d’une part, la base fiscale diminue en raison des taxes et des restrictions de la politique climatique. D’autre part, toute une industrie nationale de l’environnement s’est habituée aux commandes subventionnées et a pris l’habitude d’un volume d’affaires stable, voire croissant. En conséquence, les taux d’imposition et la TVA sont encore augmentés à partir de 2027.
Si les plus gros émetteurs de CO2 avaient déjà quitté la Suisse pour l’Asie ou l’Afrique après 2020, ce sont désormais les «pécheurs du CO2» de taille moyenne qui suivent. Malgré l’électrification croissante des transports, il s’ensuit une baisse de la consommation d’électricité, ce qui se traduit par des résultats financiers profondément dans le rouge pour certaines compagnies d’électricité. Les cantons propriétaires concernés doivent injecter des milliards pour éviter la faillite de leurs entreprises de production d’énergie. Ces opérations de sauvetage coûteuses entraînent même des augmentations d’impôts dans certains cantons. En outre, en 2029, le parlement national adopte une «taxe sur l’électricité grise» pour rendre plus coûteuse l’importation d’électricité étrangère bon marché – que l’on a qualifiée durant le débat d’«électricité sale».
Baisse de la croissance de la productivité et hausse du niveau des prix
Au début des années 2030, la croissance de la productivité en Suisse s’est considérablement ralentie, bien qu’un groupe important d’entreprises de cleantech se soit établi entre-temps. Il a fallu commanditer plusieurs études pour dissiper le mythe selon lequel un rôle de pionnier dans les technologies durables pouvait être «acheté» grâce à de généreuses subventions. En fin de compte, seule une petite proportion des entreprises subventionnées (indirectement) a réussi à développer des solutions commercialisables et proches du marché. Le «double dividende», un effet positif à la fois sur l’environnement et sur la croissance, ne s’est pas concrétisé.
En outre, la taxe sur le CO2 introduite en 2027 sur les biens importés – non-conforme aux règles de l’OMC – entraîne un déplacement de la consommation vers les produits du secteur alors peu productif du pays, tandis que le secteur des exportations, essentiel à l’économie, perd en importance. Ce dernier souffre de plus en plus des mesures de rétorsion d’autres pays, qui imposent également des taxes à l’importation sur les biens d’exportation suisses.
En conséquence, les chaînes de valeur autrefois mondiales sont de plus en plus renationalisées en Suisse, ce qui freine sensiblement la croissance. Bien que cette tendance ait été bien accueillie au début, en particulier par les sceptiques de la croissance, les premiers effets concrets ne tardent pas à se faire sentir : l’aggravation des déficits de financement de la prévoyance vieillesse, de la santé et de l’éducation conduit à des débats – parfois vindicatifs – sur l’utilisation de ressources rares, et plus concrètement sur les missions de l’Etat- et l’équilibre social. Afin de garantir l’équilibre financier de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS), l’âge de la retraite (pour les femmes et les hommes) doit maintenant être porté à 67 ans et les généreuses réductions des primes d’assurance maladie doivent être supprimées. Les demandes de congés parentaux rémunérés sur plusieurs années et les initiatives similaires disparaissent complètement de l’agenda politique.
L’augmentation du niveau des prix inquiète la population. Au début, les slogans tels que «I CHare – Plus de Suisse dans son panier» plaisaient à la majorité des Suisses, mais le revers de la médaille devient de plus en plus évident : en raison de la fermeture progressive de l’économie suisse et de la faible pression concurrentielle sur le marché intérieur (artificiellement) fermé, la population est confrontée à une augmentation croissante des prix, notamment en raison de la gamme réduite de produits. La petite taille du marché intérieur suisse, qui, dans de nombreux secteurs, ne permet pas aux entreprises de réaliser suffisamment d’économies d’échelle n’aide pas à remédier à cette hausse de prix. D’une part, l’effondrement des possibilités d’exportation oblige de nombreuses entreprises à redimensionner leurs activités, ce qui fait monter les coûts et les prix, et entraîne des pertes d’emplois. D’autre part, la disparition de la concurrence étrangère conduit diverses entreprises à obtenir des positions de monopole quasi du jour au lendemain sur le marché, ce qui se traduit par des hausses de prix.
Enfin, un véritable débat sur la distribution se déclenche lorsqu’il apparaît que non seulement le niveau des prix a augmenté, mais aussi que le revenu disponible moyen des ménages n’a cessé de diminuer au fil des ans. Cet effet est une conséquence de la pression continue sur les salaires, qui est à son tour une conséquence de la baisse de la productivité. Les dépenses supplémentaires résultant des taxes drastiques sur le CO2 pèsent également sur le budget des ménages.
Recommandations
Où finit la réalité et où commence la fiction ? Des jeunes militants politiques réclament déjà des villes sans voiture, l’intervention de l’Etat dans la politique d’investissement des banques suisses et une interdiction générale des importations de viande. Au printemps 2019, une motion demandant «zéro émission nette de CO2» d’ici 2030 a été présentée à la ville de Zurich. Cet objectif climatique, qui va de facto plus loin que le scénario décrit ci-dessus, est supposé être atteint sans aucune mesure à l’étranger. Il est clair qu’une politique climatique axée sur la suppression d’émissions uniquement en Suisse déclenche des processus politiques et économiques. Il est de notoriété publique, par exemple, que les acteurs politiques saisissent souvent l’occasion de façonner une décision politique en faveur de leur clientèle.
Le risque que les objectifs climatiques soient liés à des intérêts industriels (par exemple la promotion de l’industrie cleantech) ou régionaux (par exemple une compensation pour les régions périphériques), bien qu’il existe déjà un grand nombre d’instruments pour garantir ces derniers en Suisse, peut être qualifié de très réaliste. Cependant, toute politique, y compris la politique climatique, ne devrait poursuivre qu’un seul objectif à la fois (la règle dite de Tinbergen). Vouloir y ajouter d’autres objectifs à atteindre, aussi légitimes soient-ils, dilue ses effets.
Une autre caractéristique typique du scénario décrit ici est que la création de nouvelles sources de subventions crée de nouveaux groupes d’intérêts dépendants : il y a des effets d’accoutumance et la revendication répétée d’un droit irrévocable et permanent à la distribution des fonds publics. En conséquence, les groupes d’intérêts s’engagent avec véhémence dans le processus politique pour préserver «leurs» moyens. C’est l’une des raisons pour lesquelles les technologies spécifiques (de réduction des émissions) ne devraient pas être subventionnées – la politique climatique doit être neutre sur le plan technologique.
Un problème global
Il peut également être judicieux de prendre des mesures nationales de réduction des émissions de CO2. Toutefois, l’efficacité des mesures prises doit être de la plus haute importance dans la politique climatique : il faut maximiser l’effet positif pour le climat pour chaque franc investi. Dans ce contexte, la réduction des émissions de CO2 doit viser en premier lieu à atteindre cet objectif au coût le plus bas possible. La planète ne se soucie pas de savoir dans quelle partie du monde les gaz à effet de serre sont réduits. En ce sens, une politique climatique purement nationale est tout simplement inefficace : des gaz à effet de serre plus nocifs pourraient être économisés ailleurs avec les mêmes moyens. Par exemple, la compensation d’un vol Zurich-New York aller-retour (2,3 tonnes de CO2) avec des projets de protection du climat dans les pays en développement et émergents coûte actuellement 67 francs (MyClimate 2019). Si l’on voulait compenser seulement la moitié des émissions en Suisse (et l’autre moitié dans les pays en développement et les pays émergents), le prix serait de 209 francs. 7,3 tonnes de CO2 pourraient ainsi être compensées à l’étranger au lieu de 2,3 tonnes.
Cette différence reflète le niveau élevé de réduction technique des gaz à effet de serre que la Suisse a déjà atteint par rapport à d’autres pays. Selon les statistiques de la Banque mondiale, elle émet 0,1 kilogramme de CO2 par dollar corrigé du pouvoir d’achat, alors que la moyenne mondiale est de 0,3 kilogramme (Weltbank 2019). Ce n’est qu’en Europe qu’il y a des pays qui émettent beaucoup plus, comme la Bosnie-Herzégovine (0,6 kilogramme).
Les émissions domestiques de CO2 ne reflètent pas le total des émissions de CO2 induites par les résidents suisses (voir figure x). Si l’on ajoute les émissions causées par les marchandises importées à l’étranger, les émissions sont plus que doublées. Pour cette raison, il semble raisonnable et justifié de réduire les émissions de CO2 là où elles se produisent, c’est-à-dire à l’étranger.
En fin de compte, le changement climatique est un problème mondial ; la part de la Suisse dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre est de l’ordre du pour mille. Les appels purement moraux lancés aux acteurs nationaux pour réduire les gaz à effet de serre ne mèneront guère au succès, car le climat a le caractère d’un bien public mondial. La tentation d’être des passagers clandestins («free-riders») – c’est-à-dire de profiter des efforts de réduction d’émissions des autres sans y contribuer – est grande. La Suisse a donc besoin d’une politique climatique contraignante qui oblige les différents acteurs nationaux à réduire efficacement leurs émissions de CO2. Cela n’est pas seulement souhaitable, mais également rationnel, même si l’on peut craindre à l’avenir des mesures de rétorsion pour les passagers clandestins climatiques. Il est donc tout à fait concevable qu’à l’avenir, d’importants partenaires commerciaux de la Suisse imposent des droits de douane punitifs aux produits provenant d’entreprises qui ne respectent pas leurs engagements climatiques. Les économistes ont déjà imaginé un «club climatique» de pays qui appliquent rigoureusement leurs engagements internationaux en matière de climat et ne s’imposent pas de tarifs punitifs entre eux (Nordhaus 2015).
Il est également nécessaire d’agir au niveau international. En particulier, des mécanismes fiables doivent être mis en place dans le cadre de l’Accord de Paris pour éviter la double comptabilisation des économies de CO2. Il convient également de garder à l’esprit qu’une approche internationale non coordonnée de la lutte contre le réchauffement climatique peut avoir des effets indésirables. On craint, par exemple, que des normes nationales de réduction des émissions plus ou moins strictes n’entraînent ce qu’on appelle des «fuites de carbone». Il s’agit d’une situation dans laquelle les entreprises délocalisent leur production vers d’autres pays où les exigences en matière d’émissions sont moins strictes en raison des coûts associés aux mesures climatiques, ce qui peut conduire à une augmentation globale des émissions.
Outre une politique climatique axée uniquement sur la réduction des émissions, la Suisse ne doit pas oublier d’investir dans une «politique d’adaptation» au cours des prochaines décennies. En fin de compte, il peut paraître louable que la Suisse assume sa responsabilité en matière de politique climatique – dans le sens où elle donnerait ainsi l’exemple – , mais son influence sur le réchauffement climatique est négligeable. Sur le plan de l’infrastructure et de la société dans son ensemble, elle doit être prête à faire face à un réchauffement moyen qui entraînera une charge disproportionnée pour la Suisse. Certains secteurs, tels que le tourisme et l’agriculture, risquent d’être durement touchés (Bafu 2018). Des précautions doivent donc être prises pour lutter contre le changement climatique par des processus de transformation à ce niveau également.
Les innovations sont d’une importance capitale pour l’adaptation et la substitution réussies des processus qui conduisent à des émissions nuisibles au climat. Les mesures politiques – aussi bien intentionnées soient-elles – qui réduisent la croissance et la productivité sont un poison pour la résolution du problème climatique. Elles réduisent la capacité d’innover et ont un effet contre-productif.
Ce texte est une préimpression de la publication d’Avenir Suisse «Et si… ? 13 développements possibles et leurs conséquences pour la Suisse», qui sera publiée le 30 octobre 2019. En cas de question, Peter Grünenfelder, co-éditeur, se tient à la disposition des médias au +41 79 458 08 63.