La croissance des échanges commerciaux entre la Suisse et la Chine est impressionnante : elle s’est élevée en moyenne à 8,4 % par an entre 2010 et 2019. Les investissements directs ont également augmenté, et de nombreuses entreprises suisses exploitent le potentiel de croissance du marché chinois directement sur place. Les stocks d’investissements directs ont augmenté pour atteindre plus de 25 milliards de francs. Les perspectives semblent toutefois s’assombrir : les rapports sur les violations des droits de l’homme et le fléchissement de la croissance économique font peur et, sur le plan géostratégique, le conflit entre les Etats-Unis et la Chine alimente les craintes d’un découplage entre les économies.

La cause : le protectionnisme de la Chine tel qu’illustré par la stratégie de double circulation. Elle vise l’indépendance vis-à-vis des ressources et des technologies étrangères et encourage le développement des capacités de production nationales. En outre, les nombreuses réglementations intersectorielles constituent un casse-tête pour les entreprises étrangères, car elles évoluent de manière dynamique et sont rarement communiquées clairement et appliquées de manière homogène.

Introduit en 2020, le système de crédit social reflète bien la situation. Cette réglementation intersectorielle est un système de classement basé sur l’intelligence artificielle. Les citoyens et les entreprises privées et publiques peuvent être évalués sur une échelle de points, avec un maximum de 1300 points et un minimum de 600 points. Même si le système, encore en cours de développement, évalue également les citoyens, l’accent est clairement mis sur les entreprises, d’où le terme souvent employé de «Corporate Social Credit System» (CSCS). Les entreprises étrangères et leurs succursales, leurs joint ventures (entreprises communes) ou leurs filiales en Chine sont également concernées.

L’objectif principal du CSCS est de surveiller le respect et l’application des lois et des réglementations en tant que méta-système superposé et de renforcer ainsi l’efficacité de l’ordre juridique et le respect de la loi au sein des entreprises. Il n’impose pas de nouvelles obligations importantes sur le comportement des entreprises ou des individus, mais étend considérablement les obligations de déclaration aux autorités de surveillance afin d’alimenter rapidement le méta-système avec un grand nombre de points de données.

Concrètement, le système examine et évalue le comportement des entreprises et de leurs chaînes d’approvisionnement sur la base d’environ 300 critères qui couvrent tous les aspects des activités commerciales : du paiement des impôts au respect des normes environnementales. En cas de comportement répondant aux attentes, des points sont attribués et donnent lieu à des avantages tels qu’un traitement de faveur lors des appels d’offres publics ou un accès facilité aux crédits bancaires. Dans le cas contraire, l’entreprise perd des points. Dans le secteur pharmaceutique, cela a des répercussions par exemple sur les délais d’autorisation de mise sur le marché des médicaments ou sur la fréquence et l’intensité des contrôles de l’Etat. Plus une entreprise perd de points, plus la probabilité qu’elle soit inscrite sur une liste noire augmente. Il devient alors pratiquement impossible de continuer à travailler sur le marché chinois.

Pour éviter d’être sanctionné ou désavantagé dans le CSCS, il vaut mieux se conformer sans faille aux dispositions en vigueur. Voilà qui est plus facile à dire qu’à faire : le système comporte des milliers de documents, de sorte que, premièrement, il n’est pas transparent pour les entreprises de savoir exactement quelles seront les conséquences d’un comportement non conforme. Deuxièmement, comme pour d’autres réglementations en Chine, il existe d’importantes différences régionales au niveau de la mise en œuvre.

Le manque de transparence complique la planification et nuit à la sécurité des investissements. Le CSCS pourrait pourtant conduire à une «égalité des chances» en Chine, c’est-à-dire à une harmonisation des conditions de concurrence pour les entreprises chinoises et étrangères. Pour ce faire, une condition critique est toutefois que le système de CSCS soit appliqué de manière uniforme, et que les entreprises étrangères ne soient pas évaluées différemment. Compte tenu de l’attitude de plus en plus protectionniste de la Chine, on peut douter que cette condition soit remplie à l’avenir. Les investisseurs étrangers devraient donc suivre davantage l’évolution de la Chine et en tenir compte dans leur évaluation des risques.