Plus l’âge de la retraite est lointain, moins on s’occupe de la prévoyance vieillesse. Le sujet est considéré comme complexe et technique, en particulier pour les jeunes qui ont encore la vie professionnelle devant eux.

Mais paradoxalement, ce sont ces derniers qui seraient bien inspirés de s’occuper de leur prévoyance vieillesse. Contrairement à nos pays voisins, qui bénéficient (ou pâtissent) d’un système de retraite entièrement étatique, notre prévoyance repose en grande partie sur la responsabilité individuelle. Les actions et les décisions qui seront prises pendant la vie active influencent le résultat une fois à la retraite. Plus tôt on commence à se préoccuper de la prévoyance vieillesse, mieux on peut s’y préparer – et plus on a de chance d’éviter les ennuis financiers à la retraite.

Des jeunes plus intéressés que ce que l’on pense

Nombreux sont ceux qui ne s’y intéressent sérieusement qu’à un stade avancé de leur vie professionnelle, venant renforcer le cliché selon lequel les jeunes sont moins réceptifs aux considérations liées à la prévoyance. Peut-on leur en vouloir ? Entre 15 et 25 ans, on a d’autres préoccupations en tête que la retraite. Les études, la carrière ou même les premières réflexions sur le fait de fonder une famille arrivent bien avant l’âge de la retraite.

Toutefois, les études montrent que les jeunes suisses ne sont pas moins capables de prendre des décisions financières que les autres catégories de la population (Brown 2013). De plus, la prévoyance vieillesse figure depuis plusieurs années parmi les plus grandes préoccupations de la jeune génération, selon le baromètre de la jeunesse de Crédit suisse. La votation populaire Prévoyance vieillesse (PV) 2020 en 2017 a par ailleurs mis en évidence les enjeux sociétaux et politiques liés à la prévoyance dans la société. Les jeunesses de partis ne restent pas en retrait, au contraire : ils se positionnent régulièrement sur cette thématique. Les jeunes libéraux-radicaux ont même lancé une initiative populaire (l’initiative sur les rentes).

De l’inefficacité d’une matière sur la prévoyance

Comment renforcer les connaissances autour des questions liées à la prévoyance vieillesse ? Comme pour beaucoup de domaines, la règle est la même : plus tôt on commence, mieux c’est. La question revient souvent dans les milieux intéressés : faut-il introduire des cours sur la prévoyance vieillesse dès l’école obligatoire (secondaire I) ? Cela aurait l’avantage de sensibiliser tout le monde à cette thématique. Toutefois, les besoins (en matière d’éducation) sont illimités, tandis que les ressources – c’est-à-dire le temps disponible – sont limitées. Ainsi, la question d’un enseignement spécifique est soumise à un arbitrage entre différentes matières.

Intégrer la prévoyance vieillesse dans les réflexions autour de la durabilité

Bien entendu, un cours dédié à la prévoyance serait totalement irréaliste. Il existe toutefois d’autres moyens de familiariser les jeunes avec notre système de retraite. On pourrait ainsi laisser de côté les considérations techniques et se concentrer sur les principes moraux et politiques qui sous-tendent le système. La solidarité et l’équité entre les générations ainsi que la durabilité sont au cœur de la conception collective de la prévoyance vieillesse. Les considérations morales sont mises à rude épreuve, car les réformes proposées tendent de plus en plus à être menées sur le dos des actifs et au seul bénéfice des retraités.

La question de justice et d’équilibre entre les catégories d’âge gagneraient à être traitées dans les cours afin de sensibiliser la jeune génération. D’aucuns pourraient y voir des questions trop complexes, voire trop politiques pour avoir leur place dans une salle de classe. Rappelons cependant que le Plan d’études romand inclut le développement de notions critiques sur les « conséquences négatives de la consommation », avec un accent particulier sur le développement durable. Il n’y aurait donc qu’un petit pas à faire pour étendre les questions de durabilité aux assurances sociales. Ne faudrait-il pas le faire ? La durabilité est une notion centrale dans la prévoyance vieillesse. Comment aborder le sujet sans évoquer le risque de violer le contrat entre les générations et la responsabilité envers les générations futures ?

La question de justice et d’équilibre entre les catégories d’âge gagneraient à être traitées dans les cours afin de sensibiliser la jeune génération (Unsplash, Barry Zhou).

Renforcer la «financial literacy» des étudiants

Selon le Plan d’études romand, le rôle de l’école obligatoire ne consiste pas seulement à transmettre du savoir, mais aussi et surtout des compétences. L’école doit fournir aux jeunes les outils pour comprendre le monde qui les entoure. La capacité de planifier pour la retraite est fortement corrélée aux compétences financières («financial literacy» en anglais) au sens large. Selon l’OCDE, la financial literacy décrit la «combinaison de la sensibilisation, des connaissances, des compétences, de l’attitude et du comportement nécessaires pour prendre des décisions financières judicieuses et, en fin de compte, atteindre le bien-être financier individuel».

En Suisse, le niveau de compétence financière est plutôt élevé par rapport aux autres pays de l’OCDE. Selon l’étude de Brown (2013), 50% des participants ont pu répondre correctement aux trois questions portant sur la compréhension des concepts de calcul d’intérêt, d’inflation et de diversification des risques, des résultats proches de ceux obtenus en Allemagne (53%) et au Pays-Bas (45%). Aux Etats-Unis et en France par exemple, seuls 30% des répondants ont obtenu des réponses correctes. Toutefois, ces résultats ne sont pas non plus brillants si l’on considère la simplicité des questions posées :

1. Supposons que vous ayez 100 Fr. sur votre compte épargne et que le taux d’intérêt annuel soit de 2%. Combien d’argent auriez-vous sur votre compte épargne dans 5 ans si vous n’y touchiez pas ?

a) Plus de 102 francs b) Exactement 102 francs c) Moins de 102 francs.

2. Imaginez que le taux d’intérêt sur votre compte épargne soit de 1% et que l’inflation soit de 2%. Combien pourriez-vous acheter au bout d’un an avec l’argent de ce compte ?

a) Plus qu’aujourd’hui b) Exactement le même montant qu’aujourd’hui c) Moins qu’aujourd’hui.

3) L’achat d’une action d’une seule entreprise garantit généralement un rendement plus sûr que l’achat d’une part d’un fonds d’actions. Cette affirmation est-elle vraie ou fausse ?

a) Vrai b) Faux.

Les compétences financières ne sont pas encore assez répandues en Suisse, en particulier parmi les personnes moins bien formées. C’est pourquoi il est nécessaire d’aborder à l’école les notions susmentionnées de diversification des risques, d’inflation, d’intérêt composés ou encore de dette. Mais il faut également renforcer l’enseignement des mathématiques tout au long de la scolarité car cette matière est le fondement qui permettra ensuite de maitriser les concepts financiers de base. Ainsi, bien plus importants que des cours spécifiques sur le fonctionnement des trois piliers, mieux vaut s’assurer que les jeunes maitrisent ces outils. Il sera ensuite plus facile pour eux de comprendre un système reposant essentiellement sur la capitalisation.

Adopter le point de vue des jeunes

Au niveau secondaire II (15-19 ans), le thème de la prévoyance est généralement abordé, du moins brièvement, dans le cadre des cours d’économie et de droit. Une question revient souvent chez les enseignants d’économie et de droit qui souhaitent dédier une leçon à la prévoyance : comment parler d’une thématique qui ne concernera mes élèves que dans quarante ans ? Si les jeunes sont en effet hermétiques aux considérations liées à la perception des rentes, une stratégie intéressante consiste à aborder la thématique selon la manière dont ils y sont confrontés à première vue, c’est-à-dire en adoptant leur point de vue.

Dans les écoles professionnelles, on pourrait par exemple analyser les cotisations qui figurent sur les premières fiches de paie. Par ce biais, il est possible d’illustrer le financement de la prévoyance vieillesse et les différences – répartition ou capitalisation – entre les trois piliers. Pour les autres élèves, on pourrait prendre comme point de départ une situation de vie comme le travail à temps partiel, ou le mariage. Comment le temps partiel est-il couvert dans la prévoyance professionnelle ? Quelle différence de traitement entre un couple marié ou non marié ?

Enfin, élargir le champ de la discussion à d’autres assurances sociales auxquelles les jeunes peuvent être amenés à faire appel peut se révéler être une stratégie payante. Tous disposent d’une assurance maladie, et le service militaire, le congé paternité ou maternité sont aussi des portes d’entrées plus accessibles pour initier la jeunesse au principe des assurances sociales.

C’est l’approche adoptée par Avenir Jeunesse avec le poster «Connais-tu les assurances sociales suisses ?». Ce poster explique de manière factuelle et pédagogique le fonctionnement des assurances sociales suisses en retraçant les différentes composantes de notre filet social d’un point de vue du jeune. Nous mettons cet outil gratuitement à disposition des enseignants et nous proposons des ateliers où nous présentons les assurances sociales.

Notre prévoyance vieillesse repose en partie sur la responsabilité individuelle. Cela implique la nécessité d’avoir des individus éclairés capables de comprendre au mieux les tenants et les aboutissants du système de retraite. Si les compétences financières sont cruciales, comprendre les enjeux politiques et moraux qui sous-tendent le système est tout aussi fondamental. L’école joue un rôle essentiel et complexe dans ce domaine, qui va bien au-delà d’une leçon sur les trois piliers. Développer des compétences, initier au thème en adoptant le point de vue des jeunes et sensibiliser aux enjeux de durabilité pourrait apporter une contribution décisive pour développer les connaissances. Pour les jeunes d’aujourd’hui et les actifs de demain.

Cet article est paru le 1.2.2023 en version allemande dans le Schweizer Monat.