Du 28 au 30 avril 2021, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique discutait de la (ré-) harmonisation de l’âge de la retraite des femmes et des hommes. Il y a 65 ans, le Parlement abaissait pour la première fois l’âge de la retraite des femmes. Aujourd’hui, un retour à la situation lors de l’introduction de l’AVS est en discussion. Quelles étaient les motivations du Parlement de l’époque pour permettre aux femmes de prendre leur retraite plus tôt ? Un coup d’œil dans les archives en dit long sur le système patriarcal de l’époque.

«Monsieur le Président et Messieurs» : voilà comment commence le message du Conseil fédéral sur la 4e révision de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) de 1956. L’absence d’adresse féminine saute tout de suite aux yeux. Cependant, il ne s’agit ni d’une faute de frappe, ni d’un quelconque acte de résistance face à une forme d’écriture inclusive. En 1956, les membres du Conseil fédéral, du Conseil national et les 44 Conseillers aux Etats (le Jura n’étant à l’époque pas encore un canton indépendant) sont exclusivement des hommes. Le droit de vote des femmes ne sera introduit que quinze ans plus tard.

C’est donc cette assemblée exclusivement masculine qui a dû décider de l’abaissement de l’âge de départ à la retraite des femmes. Oui, à l’époque, il est bien question d’abaissement et non d’augmentation. L’âge de la retraite est alors fixé à 65 ans tant pour les Suissesses que les Suisses – et ce depuis l’introduction de l’AVS en 1948.

La lecture du message nous en apprend beaucoup sur l’attitude des parlementaires de l’époque envers les femmes. Dans le document jauni par les années, rédigé à la machine à écrire et portant des corrections apportées à la main, on trouve la justification suivante pour un abaissement de l’âge de la retraite des femmes à 63 ans :

«Voir abaisser l’âge dès lequel les femmes ont droit à une rente est un vœu qui a déjà été exprimé dès l’introduction de l’assurance-vieillesse et survivants ; mais des raisons d’ordre financier en ont fait constamment renvoyer la réalisation. La femme vit en moyenne plus longtemps que l’homme, mais n’en est pas moins désavantagée à maints égards sur le plan physiologique. Règle générale, ses forces physiques déclinent plus tôt, ce qui la contraint très souvent à abandonner ou à restreindre prématurément son activité lucrative. Abaisser l’âge dès lequel les femmes ont droit à une rente répond donc à un besoin d’ordre social. Ce besoin se manifeste avant tout pour les femmes qui déploient une activité physique. Les statistiques prouvent en outre que de manière générale les femmes d’un certain âge sont plus sujettes à la maladie.»

La contradiction pourtant évidente entre une espérance de vie plus élevée pour les femmes que pour les hommes (environ deux ans de plus à l’âge de 65 ans) et un «déclin des forces physiques» ainsi qu’une «plus forte sujétion aux maladies» ne semble déranger personne à l’époque. Même la formulation, aujourd’hui politiquement incorrecte et qui donnerait lieu à des commentaires indignés dans les médias, ne fait sourciller personne. Des mauvaises langues prétendent que les hommes de l’époque, souvent plus âgés que leurs épouses ne voulaient pas se retrouver seuls à la retraite et que cette raison était plus importante que les arguments d’ordre physiologique. Cette réalité semble confirmée par ce passage du message : «C’est avant tout pour les femmes vivant seules qu’il est nécessaire d’abaisser l’âge dès lequel les femmes ont droit à une rente. Il serait toutefois malaisé de dire quelles sont en fait les femmes vivant seules.» En effet, la distinction selon l’état civil, que l’on retrouve aujourd’hui encore sur presque tous les formulaires officiels, aurait sûrement constitué un obstacle administratif trop important…

C’est sans doute pour cette raison que la révision est adoptée sans résistance par le Parlement et promulguée sans référendum en 1957. Six ans plus tard, en 1963, dans le cadre de la 6e révision de l’AVS, la scène se répète. Le suffrage féminin n’ayant toujours pas été introduit, ce sont les hommes de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS, voir image) puis leurs collègues de l’assemblée fédérale discutent du sort des femmes. Les questions relatives aux femmes étaient donc une affaire exclusivement masculine. Outre l’introduction de la rente complémentaire pour épouse et de la rente pour enfant, l’âge de la retraite des femmes est ramené de 63 à 62 ans. La 6e révision de l’AVS est également adoptée sans faire l’objet d’un référendum.

Les questions relatives aux femmes étaient une affaire exclusivement masculine. – La CSSS-N discute, en 1963, de l’abaissement de l’âge de la retraite des femmes dans le cadre de la 6e révision de l’AVS. Source : Vidéo des archives de la SRF.

Ce n’est qu’en 1997, lorsque Ruth Dreifuss, alors seule femme au Conseil fédéral, porte devant le Parlement la 10e révision de l’AVS – parfois appelée «révision pour les femmes» – que l’âge de la retraite des femmes est relevé à nouveau, en deux étapes, pour atteindre 64 ans. En contrepartie, le splitting des cotisations entre les conjoints et la bonification pour tâches éducatives sont introduits, ce qui a amélioré la situation financière de nombreuses femmes.

FIn avril 2021, le projet de réforme de l’AVS 21 était examiné par la Commission en charge du dossier au Conseil national. Reste à voir si la commission qui compte aujourd’hui une majorité de femmes (14 sur les 25 sièges), corrigera les décisions prises par les hommes lors des 4e et 6e révisions et ramènera l’âge de la retraite des femmes à son niveau de 1948. Les réactions suite aux décisions de la première chambre, le Conseil des Etats, laissent anticiper des débats passionnés et émotionnels. Les milieux féministes sont strictement opposés à la proposition de (ré-) harmonisation de l’âge de la retraite. Que ces mêmes milieux, au nom de l’émancipation, défendent bec et ongles un reliquat d’une époque patriarcale ne manque pas d’ironie.