Récemment, une étude de l’université de Zurich a échauffé les esprits en Suisse. Le message principal, qui a fait l’objet de vives discussions, est le suivant : les étudiantes des filières à prédominance féminine auraient des ambitions de carrière plus faibles, car elles sont attachées aux anciens rôles de genre.

Imaginez maintenant que le Grand Conseil zurichois profite de cette étude pour limiter l’accès des femmes à des disciplines telles que la psychologie ou la sociologie. La majorité du Conseil souhaiterait ainsi que les femmes suivent davantage de formations MINT et qu’elles travaillent plutôt sur le long terme et à plein temps.

Une telle approche serait très discutable. L’interprétation sélective d’un seul travail de recherche ne peut pas guider une politique intelligente. Lorsque les milieux politiques font appel à des connaissances scientifiques, ils doivent toujours être conscients des limites : quelles réponses concrètes une étude – ou la science en général – peut-elle fournir ? Quels autres aspects doivent être pris en compte ?

Interprétation unilatérale des statistiques sur l’écart salarial

Le scénario ci-dessus peut sembler exagéré. L’interprétation unilatérale des statistiques et des travaux scientifiques est toutefois une réalité en politique. Ainsi, le Conseil national a approuvé début mai une motion visant à renforcer la loi sur l’égalité. Depuis 2020, les entreprises sont tenues de procéder à des analyses internes des salaires et de communiquer à ce sujet. Désormais, elles pourront même être sanctionnées par des amendes en fonction des résultats.

La discrimination salariale n’est en aucun cas avérée. (Unsplash)

Cette intervention de grande envergure est justifiée par une discrimination salariale présumée à l’encontre de nombreuses femmes. Malgré tous les efforts, cette discrimination persiste et ne peut être éliminée que par des sanctions. En d’autres termes : étant donné que les interventions des autorités ne semblent pas avoir porté leurs fruits jusqu’à présent, le Conseil national pense avoir trouver une solution par le biais de mesures encore plus strictes (Avenir Suisse a mis en garde à plusieurs reprises contre une telle spirale réglementaire). On peut se demander si les milieux politiques agissent ici contre leur gré ou s’il s’agit d’une incompréhension générale sous la coupole du Palais fédéral ?

La discrimination salariale n’est en effet en aucun cas avérée. Certes, selon une analyse économique générale, les femmes reçoivent un salaire inférieur d’environ 8 %, pour des données «comparables». Toutefois, ce chiffre ne permet pas de savoir s’il y a effectivement discrimination et dans quelle mesure.

Il en va de même pour les écarts de salaires au sein d’une entreprise : pour les mesurer, on a généralement recours à Logib, un outil d’analyse statistique mis à disposition par la Confédération. Sur la base d’une poignée de caractéristiques personnelles et spécifiques à un poste, on détermine s’il existe des écarts salariaux entre hommes et femmes. Tout ce qui ne peut pas être justifié par les quelques facteurs pris en compte est automatiquement considéré comme une discrimination. C’est faux, car la «part inexpliquée de l’écart salarial» peut aussi cacher des différences légitimes qui déterminent le salaire. De plus, l’outil ne reconnaît pas si une femme se voit refuser une promotion (et un salaire plus élevé) en raison de son sexe. La «part expliquée de l’écart salarial» n’est donc pas non plus à l’abri d’une interprétation erronée. Il serait donc absurde de prononcer des amendes sur la base d’un modèle de calcul incomplet.

Trompeuse, cette initiative risque même de nuire à l’égalité. Les entreprises craignent les sanctions, les listes noires et les dommages qui en résultent pour leur réputation. Elles sauront utiliser l’outil d’analyse conçu de manière primitive à leur avantage si celui-ci devait révéler des écarts de salaire. Plus problématique encore : comme l’expérience professionnelle effective n’est pas prise en compte dans les statistiques, Logib considère l’embauche de femmes ayant connu de longues interruptions de travail comme une discrimination salariale. Mieux vaut donc ne plus engager de femmes après une pause maternité (ou ne plus engager de femmes du tout) ?

Deux poids, deux mesures

On observe deux éléments dans le débat sur la politique de l’égalité des sexes qui se croisent sur le plan du contenu, mais se distinguent par leurs structures. D’une part, une étude controversée dans les médias sur les rôles et les comportements des hommes et des femmes : il faut saluer le fait que les médias et les milieux politiques se penchent de manière critique sur une étude scientifique. Une meilleure compréhension par le public des questions de causalité, de conception de l’étude et d’interprétation des résultats scientifiques est nécessaire.

D’autre part, le débat sur les salaires : le récit de la discrimination salariale liée au sexe est toujours très répandu. Il  est fondé sur une interprétation sélective et tout à fait obstinée des statistiques sur les salaires. Toutefois, cela ne semble pas déranger grand monde. Au contraire, comme le montre la décision du Conseil national, le récit se répand désormais jusque dans le camp bourgeois. A force de les répéter, on finit par croire aux affirmations les plus éloignées de la réalité.