L’un des principaux arguments contre la révision partielle de la loi sur l’aménagement du territoire (LAI) est le risque que les déclassements de terrains à bâtir ou la compensation de la plus-value conduisent à une hausse des prix du terrain, et par conséquent à celle des prix de l’immobilier et de la location. Mais globalement, l’entrée en vigueur de la révision de la LAT ne devrait pas avoir de conséquences, ou alors très modestes, sur le prix des terrains.
Les prix du terrain découlent avant tout de l’interaction entre l’offre et la demande. Pour comprendre les conséquences du prélèvement de la plus-value sur les prix de l’immobilier, il convient d’analyser ses répercussions sur la demande et sur l’offre de terrains à bâtir.
Le prélèvement de la plus-value n’influence pas la demande. Pourquoi? Ce que le maître d’ouvrage est prêt à mettre dans l’achat d’un terrain dépend du gain qu’il pourra en retirer. Le prix maximal qu’il est prêt à payer pour une parcelle correspond à la différence entre les recettes attendues (location ou valeur propre) et les coûts d’exécution (développement et construction) du meilleur projet réalisable sur ce bien-fonds (théorie de la valeur résiduelle). Or, ni les loyers envisageables ni les coûts d’exécution ne sont influencés par le prélèvement d’une plus-value. Ainsi, la compensation de la plusvalue n’a aucune influence sur le volume des demandes ni sur la disposition à payer pour un terrain à bâtir. Au niveau de l’offre, le prélèvement d’une plus-value pourrait tirer les prix vers le haut si elle se répercutait sur la volonté à affecter un terrain en zone à bâtir. Dans ce cas-là, le volume des offres diminuerait avec des conséquences sur le prix. Un tel scénario n’est toutefois pas probable. En effet, même si une partie de la plus-value réalisée grâce à la mise en zone à bâtir d’un terrain est prélevée, l’augmentation du gain reste énorme pour le propriétaire foncier, et par conséquent aussi, l’incitation financière à accepter une mise en zone à bâtir.
Le prix du terrain agricole est d’environ 10 fr./m2, alors que celui du terrain à bâtir se situe plutôt entre 300 et 1500 fr./m2. Pour une parcelle de 1000 m2, la plusvalue tirée d’une affectation en zone à bâtir se situerait ainsi dans une fourchette allant de 300 000 à 1,5 millions de francs. Même si le propriétaire devait en retrancher un tiers à titre de prélèvement sur la plus-value, l’augmentation de la valeur de son bien-fonds resterait fort intéressante. Et constituerait une incitation financière notable pour prêter la main à une mise en zone à bâtir.
Au niveau de l’offre, le prélèvement de la plus-value n’aurait donc pas d’incidence sur la volonté à affecter un terrain en zone à bâtir, mais pourrait tout au plus avoir un effet sur les prix, en modifiant la propension des propriétaires à vendre leur bien-fonds. On peut imaginer que certains vendeurs élèvent leur «prix de réserve», c’està- dire le prix minimal à partir duquel ils seraient disposés à vendre.
Ce serait le cas s’ils souhaitaient récupérer le montant versé à titre de plus-value à la charge de l’acheteur ou spéculaient sur la possibilité d’une suppression ultérieure de cette taxe. Etant donné qu’un acheteur ne sera pas disposé à payer davantage suite à l’introduction du prélèvement de la plusvalue, le vendeur ne pourra réaliser son prix de réserve qu’en conservant le bien-fonds jusqu’à ce que la demande et/ou les prix grimpent pour d’autres raisons. Le prélèvement de la plus-value ne pourrait avoir un effet inflationniste qu’au niveau de l’offre et uniquement s’il renforce le penchant à thésauriser. Mais cet effet devrait justement être neutralisé par les mesures prévues dans le cadre de la révision partielle de la LAT pour mobiliser les terrains à bâtir (art. 15a LAT). Citons les engagements contractuels à construire, le droit d’emption des communes en cas de nonconstruction ou l’imposition des terrains non construits à leur valeur vénale. La suppression des paiements directs versés à l’agriculture pour les terrains à bâtir serait une autre forte incitation financière à les mobiliser. Une application conséquente de ces mesures aurait un effet déflationniste.
Outre ces quelques réflexions sur la fixation des prix sur le marché foncier, il existe une autre raison pour larquele un prélèvement de la plus-value n’aurait pratiquement pas d’incidence sur les prix: les terrains nouvellement classés en zone à bâtir – seul cas où la taxe serait prélevée – constituent seulement une petite partie de l’offre à l’échelle nationale. En Suisse, quelque 30.000 à 40.000 ha de terrain à bâtir n’ont pas encore été construits. En comparaison, seuls 600 ha environ sont classés en zone à bâtir par an, ce qui représente moins de 2% de l’offre de terrains à bâtir. Ne serai-ce qu’à cause du faible effet de masse, l’introduction d’un prélèvement de la plus-value n’aurait pratiquement aucun effet à moyen terme sur les prix dans les régions qui disposent de riches réserves en zones à bâtir.
En ce qui concerne le deuxième instrument controversé de la révision de la LAT, à savoir la réduction des zones à bâtir surdimensionnées, il ne faut pas s’attendre non plus à ce que cela fasse exploser les prix. Dans les régions où les réserves de terrains à bâtir sont rares, donc là où les prix sont élevés, la création de zones à bâtir restera possible. La révision de la loi sur l’aménagement du territoire permet aux cantons et aux communes de tenir à leur disposition des terrains à bâtir en suffisance, afin de couvrir leurs besoins durant 15 ans. Dès que ces réserves seront épuisées, ils pourront à nouveau classer de nouveaux terrains en zones à bâtir. L’objectif de cette réglementation plus stricte n’est pas d’empêcher la mise en zone à bâtir lorsque la nécessité s’en fait ressentir, mais de garantir que cela se fasse avec modération et par étapes.
Seules les régions présentant des zones à bâtir surdimensionnées, c’est-à-dire des réserves pour nettement plus de 15 ans, seront contraintes de les réduire. La plupart du temps, il s’agit de zones périphériques, où l’offre abondante s’oppose à une demande plutôt faible, et où, en conséquence, les prix fonciers sont particulièrement bas. Dans ces régions, la réduction des zones à bâtir entraînerait une certaine hausse des prix, tout en restant à un niveau très bas. Du point de vue de l’aménagement du territoire, un petit prix au mètre carré est problématique, car cela favorise une utilisation dispendieuse des surfaces et par conséquent une urbanisation diffuse et étalée.
Sur le plan économique également, les petits prix au mètre carré en périphérie posent problème. Ils incitent à construire loin des centres, dans des endroits mal desservis. Il en résulte des coûts d’infrastructures de plusieurs milliards: d’une part des coûts fixes pour l’équipement technique, d’autre part des coûts annuels relevant de la mobilité, qui dans les deux cas sont en Suisse massivement subventionnés par l’Etat. Par conséquent, ne pas réduire les zones à bâtir surdimensionnées reviendrait au final probablement beaucoup plus cher que de le faire.
Cet article a paru dans L’AGEFI du 30 janvier 2013.