ChatGPT, un modèle de langage basé sur l’apprentissage automatique, fait beaucoup parler de lui. En un clin d’œil, le programme fournit des réponses, des poèmes ou des codes. Il représente un nouveau type de matériel et de logiciel qui ne se contente pas de remplacer l’humain dans les tâches simples, mais qui peut également se charger de plus en plus d’activités complexes telles que la rédaction de textes de grande qualité (remarque: ce texte n’a pas été rédigé par ChatGPT). Jamais auparavant il ne nous avait été montré de manière aussi évidente le rôle central que l’intelligence artificielle jouera à l’avenir dans notre vie quotidienne.

De nombreuses personnes ont peur de la disruption numérique. Les plus pessimistes craignent des bouleversements sociaux majeurs qui nécessiteraient une intervention de l’Etat. En politique fiscale, l’importance croissante des technologies numériques soulève la question de savoir si le système actuel d’imposition des entreprises est adapté à notre époque ou si l’Etat devrait également modifier le droit fiscal en instaurant de nouveaux impôts.

Les machines productives sont déjà taxées

L’idée d’une «taxe sur les robots» avait déjà fait couler beaucoup d’encre il y a quelques années. Le raisonnement est le suivant : puisque de plus en plus de «robots» sont censés remplacer le travail humain, nous devrions taxer leur performance afin de garantir les recettes fiscales et les emplois. Il vaut la peine de rappeler les arguments contre cette imposition. En effet, toute taxe visant à maintenir la compétitivité du travail humain en taxant la valeur ajoutée générée par l’automatisation est inefficace pour au moins quatre raisons.

La valeur ajoutée générée par l’automatisation est déjà imposée comme un revenu du capital. (Arseny Togulev, Unsplash)

Premièrement, il s’agit d’une approche qui nous appauvrirait : une taxe qui influence les décisions des entreprises quant à la technologie utilisée a un effet de distorsion important. Prélevée précisément sur les actifs productifs, elle renchérirait les investissements et inciterait les entreprises à miser non pas sur la technologie la plus efficace, mais sur la moins taxée. La formation de capital et, par conséquent, la croissance économique seraient limitées. Ce serait une très mauvaise stratégie, surtout dans un pays où la main-d’œuvre a toujours été rare.

Deuxièmement, il est plus difficile de répondre à la question de savoir ce qui, du point de vue fiscal, est considéré comme une machine productive. Les problèmes de délimitation qui en résulteraient seraient multiples. Le législateur serait confronté à un défi difficile à relever : adapter en permanence le droit fiscal aux formes les plus récentes, c’est-à-dire les plus productives, du progrès technique.

Troisièmement, les nouvelles formes de prélèvement sont certes rapidement élaborées, mais l’incidence, c’est-à-dire qui paie effectivement un impôt, n’est pas prise en compte. Or, de même que la taxe sur les chiens est payée par les propriétaires de chiens (et non par les chiens), une «taxe sur les robots» fait payer leurs propriétaires et, en raison de la baisse des gains de productivité, les employés et les consommateurs.

Quatrièmement, le fait qu’une telle taxe pèserait davantage sur les revenus du capital montre que la valeur ajoutée générée par l’automatisation est déjà imposée aujourd’hui en tant que revenu du capital. Le système fiscal est donc bien équipé pour faire face à un avenir où le travail sera de plus en plus remplacé par du capital et où la création de valeur se fera de plus en plus sans intervention humaine.

Renoncer aux impôts numériques

Il n’y a qu’un pas à franchir entre les robots industriels qui améliorent la productivité et les entreprises technologiques telles que Google, Amazon ou Airbnb, dont les modèles d’entreprise reposent entièrement sur la technologie numérique. Pour les autorités fiscales, ce chemin est long, voire inatteignable. Les robots sont utilisés dans la production (et de plus en plus dans le secteur des services). Là où il y a production, il existe une présence physique de l’entreprise que l’Etat peut taxer. Les modèles commerciaux numériques reposent en revanche sur des «valeurs immatérielles» (données, algorithmes, etc.). Les clients peuvent être servis à l’échelle mondiale sans disposer d’une présence physique (et donc sans points de rattachement fiscaux) sur place.

Néanmoins, il faut clairement se garder de recourir à des instruments sectoriels spécifiques tels que les «taxes numériques» basées sur le chiffre d’affaires. L’économie numérique est omniprésente et ne peut pas être clairement délimitée. Il n’existe pas d’économie analogique. Ainsi, les constructeurs automobiles collectent et utilisent eux aussi des données de leurs clients à grande échelle. Le transfert de bénéfices fiscaux souvent dénoncé (par exemple par le biais des prix de transfert) ne se limite pas non plus à l’économie numérique. En outre, des biens traditionnels sont exportés sans que les entreprises concernées soient physiquement présentes dans le pays de vente et qu’un droit d’imposition en découle.

Une réforme des réglementations internationales

Au niveau international, l’OCDE et le G20 s’efforcent de réformer en profondeur l’imposition des entreprises. Les droits d’imposition doivent être davantage transférés vers les pays de vente, c’est-à-dire là où se trouvent les consommateurs et les utilisateurs. L’idée est la suivante : sur les plateformes numériques telles que Facebook, les utilisateurs contribuent également à la création de valeur grâce à leurs données. Cette justification est controversée. Au contraire, la création de valeur devrait surtout avoir lieu là où se trouvent la propriété intellectuelle, les programmeurs et les développeurs des réseaux. Néanmoins, les Etats disposent déjà d’un instrument de taxation locale de la consommation avec l’impôt sur le chiffre d’affaires ou la TVA. Les impôts sur les entreprises doivent en outre être considérés comme une «contrepartie» aux prestations de l’Etat qui nécessitent à leur tour une présence physique.

À l’échelle mondiale, ce sont les préoccupations fiscales qui dominent : les réformes fiscales sont d’abord poussées par le pouvoir de négociation croissant des pays du marché. Il est clair que la Suisse ne peut pas se soustraire aux règlementations internationales. En tant que pays exportateur et siège de nombreux groupes internationaux, elle ne peut cependant pas avoir d’intérêt à une révision du droit fiscal. Il convient donc d’attendre et de maintenir des conditions-cadres attrayantes dans notre pays. Cela implique de ne pas se risquer à des expériences fiscales qui entraveraient l’innovation. Il est dans l’intérêt de tous que les entreprises utilisent le plus de technologie possible afin d’être toujours plus productives et de rester compétitives au niveau international. C’est sur cela que repose notre prospérité. D’ailleurs, ChatGPT serait également d’accord, n’hésitez pas à lui poser la question.

Il s’agit d’un extrait de l’article des auteurs paru dans «IHKfacts», le magazine économique de la Chambre de commerce et d’industrie de Saint-Gall–Appenzell.