Finissons-en avec la ruse des Suisses, ces pique-assiettes des Alpes, profiteurs et retors. Le reproche est universel, mais est-il vraiment correct d’affirmer que notre pays ignore la bienséance ou la morale pour grappiller le moindre des privilèges? La thèse de la ruse est absurde pour la simple et bonne raison que notre système politique ne permet pas ce type de tactique. Il n’existe aucun «masterplan», aucun parti dominant, aucun président, susceptible d’orienter le jeu dans la bonne direction. Au contraire, les Suisses sont divisés sur les questions de politique étrangère, donc la Suisse est aussi imprévisible que vulnérable. Si le peuple devait prendre une décision sur tous les traités internationaux, cette vulnérabilité augmenterait encore d’un cran.

L’esprit d’indépendance exacerbé des Suisses, en tant qu’individus et comme nation, est un immense atout: la capacité de ne pas subir les modes l’a servi plutôt que desservi. L’origine du reproche de ruse vient peut-être de là: l’esprit d’indépendance des Suisses n’a pas mené à l’échec. Il a même été récompensé. L’idée surgit alors immédiatement que la ruse ne serait qu’une habile stratégie de camouflage pour mieux défendre ses propres intérêts.

L’interprétation est incompréhensible. Il n’est pas interdit que sa politique, par hasard ou non, serve ses intérêts. La politique étrangère est par nature une politique de défense de ses intérêts, et c’est bien ainsi. Si la politique étrangère d’un gouvernement ne répond pas aux intérêts de sa propre population, il ne remplit ni sa mission ni ses responsabilités. La Suisse doit donc essayer de maintenir ses particularités et son autonomie dans le nouvel ordre mondial. À cette fin, son approche doit être équitable, honnête, intelligente, autant qu’ingénieuse et bien sûr rusée.

Cet article est paru dans «avenir actuel» 02/2012.