C’est fait. Après 36 ans d’attente, le PLR a réussi à améliorer ses résultats aux élections fédérales. Ce succès repose sur sa «Stratégie pour le futur», qui a fait des valeurs de liberté, de cohésion et de progrès des points forts soutenus tout au long de la campagne. Le plan de la direction du parti a partiellement réussi: la nouvelle constellation politique de la Berne fédérale confère au PLR un rôle de leader. Particulièrement pour les questions pour lesquelles les lignes d’ententes avec la conservatrice UDC sont plutôt minces: politique étrangère et immigration.

Partout donc où il est question de la frontière entre «nous» et «les autres» et de la question identitaire «qui sommes-nous ?»

Le PLR a ici une grande occasion de tirer son épingle du jeu: il peut opposer à l’étroite ligne de pensée conservatrice et rétrograde de l’UDC un nouveau récit narratif. Une version tournée vers l’avenir qui prône l’ouverture.

Le programme du PRL contient déjà les premiers ingrédients pour un tel programme, quand il est dit que la force de la Suisse réside dans sa «diversité», «un échange interactif entre les différents régions linguistiques, les différents visions du monde et les différents religions». Ou encore: «Rester sur place, c’est reculer». Et le PLR souligne que la prospérité ne se maintiendra pas sans changements. Il est intéressant de relever comme le parti se réfère toujours plus à l’histoire de l’Etat fédéral moderne, en particulier à 1848. Le PLR se décrit comme le «parti fondateur» et comme «moteur» de la Suisse moderne, qui a «largement contribué à dessiner la Suisse actuelle». Il veut continuer à «développer» ce modèle à succès.

En bref: on tient ici la description d’un pays en mouvement, une Suisse capable d’apprendre et de progresser, qui, grâce à son ouverture d’esprit, a encore de l’avenir devant lui. C’est bien cette version libérale de l’histoire que le PLR doit représenter avec conviction dans le nouveau Parlement. Il faut une alternative tant à la conception nationale conservatrice, presque mythique, de l’histoire (Morgarten, Marignan) qu’à l’histoire ouvrière de la gauche. Car d’importantes votations auront lieu durant la prochaine législature, de la révision du droit d’asile aux traités bilatéraux avec l’UE. Sans un narratif libéral spécifique, ces votations ne pourront pas être remportées.

Les questions relatives à l’identité reposent avant tout sur la relation avec la peur. Les scientifiques Guy Kirsch et Klaus Mackscheidt avaient déjà en 1985 différencié dans leur ouvrage de référence «Staatsmann, Demagoge, Amtsinhaber» trois types de politiciens: le gestionnaire («Amtsinhaber» en allemand) prend les peurs telles qu’elles sont, car il ne désire pas en parler ; il est incapable et n’a pas la volonté de les thématiser. Le démagogue provoque les peurs et les amplifie pour gagner en puissance. L’homme d’Etat, quant à lui, tente de rendre les citoyennes et citoyens plus libre en leur permettant de surmonter leurs peurs – en osant affronter la réalité.

Un gestionnaire se préoccupe surtout des affaires courantes, sans s’ouvrir à la réalité. Cette stratégie comporte un risque: celui qu’une divergence naisse progressivement entre les actions et solutions du gestionnaire et la réalité, qu’il n’appréhende pas. Lorsque le temps des gestionnaires devient (lentement) révolu, sonne l’heure des démagogues – ou alors celle des hommes d’Etat.

Savoir qui triomphe et domine par son influence dépend largement de la constellation politique – et de la qualité des politiciens.

C’est bien dans une telle situation dans laquelle nous nous trouvons en Suisse. Le Conseil fédéral reste muet. Les citoyens cherchent à s’orienter dans une situation complexe et opaque. Ce serait logiquement aux partis de proposer des scénarios pour le futur et d’offrir des directions. Sauf qu’ils ne le font pas. On a malheureusement trop souvent le choix entre une conception conservatrice-mythique de l’histoire, liée à une image du présent qui attise les peurs, d’une part ; et une conception gestionnaire à court-terme qui ne raconte aucune histoire ni ne véhicule une vision du futur, d’autre part. La précédente législature, largement dominée par des influences externes au Parlement, nous a montré à quoi ressemblerait une Suisse gestionnaire. D’un côté, il a fallu subir la pression des Etats-Unis, de l’UE depuis Bruxelles ou de l’OCDE depuis Paris. De l’autre, le peuple a directement donné le ton avec quatre initiatives populaires acceptées. Les politiques semblaient naviguer sans direction sur les flots de la législature, sans force intérieure. Et le peuple a pris son autonomie.

Sauf que: le secret du vote ne permet pas de savoir ce que les citoyens pensent précisément et ce que sont leurs motivations dans les urnes. Le peuple est ainsi comme un sphinx. En ce sens, il ne peut pas éclairer de manière argumentée le politique vers le futur.

Qu’est-ce que cela signifia alors pour le PLR ?

Il doit vouloir mettre en œuvre sa stratégie d’avenir avec le courage d’un homme d’Etat, la formuler en un narratif libéral, et influencer le rôle du Conseil fédéral avec ses représentants. Car celui-ci tient une place prépondérante dans le système politique suisse. Une secousse doit maintenant traverser le pays, comme l’a souhaité pour l’Allemagne le Président fédéral Roman Herzog. Les Conseillers fédéraux doivent, après leur élection, trouver un terrain d’entente et se comporter comme des femmes et hommes d’Etat. C’est-à-dire incarner, tant dans la stratégie que dans la communication, le futur d’une Suisse ouverte, capable d’apprendre et de s’adapter. Espérons qu’ils puissent trouver ce courage et cette force.

Cet article est paru dans «Le Temps» du 9 novembre 2015.