M. Cassis, Tessinois élu au Conseil fédéral, a été concurrencé par des Romands mais aucun Suisse allemand. Implicitement, ceci revenait à reconnaître une forme d’équivalence de «latinité» alors même que pratiquer une langue autre que le dialecte alémanique ne suffit pas pour créer une identité commune.

Tessin et Suisse romande : trois décennies de votations divergentes

Europe, politique des étrangers, naturalisations : non, décidément, le Tessin ne vote pas comme la Suisse romande. Près de 30 votations fédérales significatives depuis 1992 ont été comparées. Pour chaque votation sont présentés le résultat national, le vote du canton du Tessin et le vote de la «Suisse romande» (vote cumulé des six cantons majoritairement francophones GE, VD, VS, FR, NE, JU).

Les votations choisies ont été regroupées en deux thématiques larges, ayant trait à la relation de la Suisse avec l’étranger : d’une part les questions européennes et internationales, d’autre part les questions d’identité, de citoyenneté (naturalisation) et de politique des étrangers.

Europe : le Tessin plus sceptique que la Suisse romande

Les votes présentés dans la figure ci-dessous sont révélateurs d’une tendance répétée : par rapport au vote suisse, le Tessin se situe d’un côté de la barre («moins ouvert») et la Suisse romande de l’autre côté («plus ouvert»). Pas de trace de «vote latin» sur ces questions : la Suisse romande et le Tessin votent différemment. Le Tessin a même refusé l’adhésion de la Suisse à l’ONU en 2002.

Le clivage entre Suisse romande et Tessin sur les questions européennes est clair, marqué parfois par des différences spectaculaires de plus de 30 points de pourcentage d’écart. Le Tessin est systématiquement moins favorable que la moyenne suisse pour toutes les votations amorçant un rapprochement avec l’Union européenne (UE) ou concernant la libre circulation des personnes, alors que la Suisse romande est plus favorable que la moyenne nationale.

Certes, la Suisse romande elle-même n’est pas une entité homogène. Mais l’exercice de comparaison du «cumul romand» avec le Tessin reste pertinent : le résultat (positif ou négatif) de tous les cantons romands est toujours identique. Par exemple pour l’EEE en 1992 : les six cantons y étaient tous favorables (VS seulement à 55,8 % et NE à 80 %) alors que le Tessin l’a rejeté. Pas de parallèles de votes non plus entre le Tessin et Genève, deux cantons pourtant unis par des caractéristiques communes : une longue frontière avec un pays voisin, un nombre élevé de frontaliers, et pendant plusieurs années, un taux de chômage plus élevé que la moyenne suisse.

Quand les Tessinois votaient comme les Romands …

Cet écart de tendance entre cantons romands et Tessin n’a pas toujours existé. En 1970, à une majorité de 63,7 %, le Tessin avait été le canton le plus fermement opposé à la première initiative Schwarzenbach «contre la surpopulation étrangère», bien plus que la moyenne romande (non à 60,9 %, malgré l’acceptation de FR à 50,3 %) ou que le résultat national (non à 54 %). Pour la 2e initiative Schwarzenbach (1974), le Tessin et les cantons romands, en belle harmonie, rejetaient l’objet à près de 75% (au niveau national, rejet à 65,8%).

Total contraste plus de quarante ans plus tard : en 2014, le Tessin votait massivement à 68,3 % en faveur de l’initiative acceptée «contre l’immigration de masse», entraînant avec lui une courte majorité nationale (50,3 %). Sur ce même objet, les cantons romands votaient tous non à l’initiative, avec une moyenne de 58,5 % pour le non. Le vote de 2014 faisait suite à une longue série de votes divergents entre Tessin et Suisse romande sur les questions européennes et internationales. Ce glissement du Tessin vers la défiance envers l’étranger et l’immigration coïncide avec la naissance de la LEGA et de son implantation croissante au Parlement tessinois dans les années 1990.

Entre-temps, la nature de l’immigration a changé. A l’époque Schwarzenbach, le statut de saisonnier existait encore, et l’immigration européenne (et italienne) concernait avant tout les domaines de la construction, de l’hôtellerie ou de l’industrie. Depuis, le nombre de frontaliers a augmenté et la libre circulation des personnes a attiré une immigration européenne plus qualifiée, avec des compétences supérieures, principalement active dans le secteur des services.

Votations à caractère identitaire (nationalité, asile, expulsion des étrangers criminels)

Les tendances sont moins claires pour ces catégories de votes, mais quelques constats sont parlants (cf. figure ci-dessous). Le Tessin est moins enclin que la moyenne suisse à faciliter les naturalisations, alors que la Suisse romande y est clairement favorable (surtout NE). A relever que le Tessin n’accorde pas de droits politiques aux étrangers au plan communal ou cantonal, contrairement à tous les cantons romands (sauf VS).

En matière de limitation au droit d’asile, le Tessin vote restrictivement, quasiment aligné sur le vote national, alors que la Suisse romande est plus «permissive». Les initiatives sur l’expulsion des étrangers criminels (2010 et 2016) ont été fortement soutenues au Tessin. En cumul, les six cantons romands avaient rejeté ces deux initiatives, à l’exception du Valais qui avait accepté la première. Même phénomène pour l’interdiction des minarets, plébisicitée aux 2/3 au Tessin mais rejetée de justesse en «cumul romand» (50,7% de non), malgré l’acceptation de FR et VS.

Conclusions : pourquoi ces différences ?

Les explications à ces différences manifestes entre votes tessinois et romands sont nombreuses (pour plus de détails, cf. article «Régionalisme alla Ticinese» p. 18 d’avenir spécial):

  • Le Tessin se sent moins bien écouté à Berne que la Suisse romande. Il a en quelque sorte intégré une position de région périphérique en Suisse, jouant ainsi un rôle d’opposition plus forte.
  • Le canton a la particularité d’être un lieu de passage transfrontalier, mais éloigné des centres : le pôle d’attraction économique le plus proche (Milan) est situé en Italie. Le Tessin se trouve donc dans une situation particulière, différente des autres régions transfrontalières de la Suisse comme Bâle et Genève (qui forment le cœur de leur propre agglomération), ce qui pourrait expliquer ce sentiment que Berne prend moins en compte les besoins et les préoccupations spécifiques à ce canton.
  • En outre, il existe un plus grand différentiel de niveau de vie entre l’Italie et la Suisse, qu’entre la France et la Suisse par exemple. Les craintes liées au dumping salarial et à l’afflux massif de frontaliers ou d’immigrants, renforcées par la force du franc, sont donc plus fortes au Tessin.
  • Malgré les ressemblances apparentes avec le MCG genevois, la Lega, le parti régionaliste tessinois, opère dans un contexte différent. La Lega est mieux implantée au Parlement cantonal tessinois. Elle dispose d’un journal propre depuis sa naissance et créé un climat de campagne permanent, avec la capacité de créer des majorités fortes pour ses thèses.

Malgré les apparences de la «solidarité latine» et en dépit des similarités (en particulier entre le Tessin et Genève), la Suisse romande et le Tessin sont des «faux amis» politiques sur de nombreux sujets-clefs. La Suisse latine n’existe politiquement pas.

Une version raccourcie de cet article est parue dans notre magazine «avenir spécial» de décembre 2017 consacré au Tessin.